La pauvreté, les injustices, les déséquilibres, aggravés par la politique du «deux poids, deux mesures» pratiquée par l'Occident... Dans un contexte de défis, l'heure est à la priorité nationale. Au XIXe siècle se constitue la mondialisation économique et le XXe siècle accentue son rythme sur la base des progrès technologiques. Aujourd'hui, le déséquilibre des forces et les contradictions sont visibles. L'accélération de la mondialisation problématique correspond à la division injuste du monde entre les pays développés du Nord et les autres pays. A ce jour, loin de s'être atténué, l'écart entre ces deux catégories ne cesse de s'aggraver, malgré l'essor de pays émergents. Il provoque des tensions au sein du système capitaliste, qui s'est constitué en système mondial. Cette situation s'est dégradée après 1989, sur la base du prétendu triomphe du libéralisme. A l'intérieur même de l'Occident, nombre de mouvements, conscients des contradictions du système dominant, luttent contre les inégalités et sont favorables à un juste partenariat avec les pays du Sud. La recherche d'une altermondialisation Du fait de l'apparition de crises, de secteurs de pauvreté au sein du monde développé, de déséquilibres et de contradictions au centre même du système libéral, notamment dans sa version néolibérale, une remise en cause du désordre économique mondial se développe par des voies diverses, souvent inattendues. Même si le Monde musulman est hétérogène et pluriel dans ses catégories et dans ses institutions, même s'il lui est difficile de s'organiser rapidement et de proposer des alternatives immédiates, il reste néanmoins un partenaire important pour la recherche d'une altermondialisation, d'un autre rapport au monde et d'un autre vivre- ensemble. C'est cela qui est contesté par les islamophobes et autres xénophobes. En effet, ni la philosophie musulmane, ni la vision économique qui se dégage du Coran, ni les caractéristiques des sociétés arabes et islamiques ne sont favorables à la rupture entre la liberté et la justice, aux dérives du libéralisme et à la logique de l'économisme qui domine la mondialisation. De ce fait, l'idée d'une troisième voie - ni capitalisme sauvage ni collectivisme, où certains voient les deux faces de la même figure matérialiste - avait fait son chemin au cours du XXe siècle. Il ne s'agit pas de se demander seulement quelle autre voie emprunter aujourd'hui. Scientifiques et politiques doivent tenter de répondre à cette question majeure: comment sortir de l'horizon sans avenir de l'esprit mercantile et de la volonté de puissance et de jouissance, qui impose le mythe occidental moderniste selon lequel: ni projet, ni raison, ni fond ne soutiennent le monde? Compter sur les compétences et donner la priorité à la science liée à l'éthique est la bonne réponse pour lier progrès et authenticité, sur la base de la bonne gouvernance. Les atouts et les potentialités existent en rive Sud. D'autant qu'il n'est pas possible de faire la moindre concession à un système faustien qui se mondialise, opposé aux valeurs humaines qui fondent l'existence. La mondialisation telle qu'elle se présente, privilégie le laisser-faire, le laissez-passer commercial, mais seulement eux, car la circulation des personnes et des savoirs est limitée. Il n'y a pas de démocratie politique sans démocratie économique et vice-versa, toutes les deux sont dépendantes des compétences, c'est-à-dire des ressources humaines et de la circulation du savoir. Ce principe, les peuples musulmans et bien d'autres l'admettent aisément. Sur les questions de justice, le Monde musulman peut contribuer à repenser la question de la solidarité sociale, de la division du travail et de la redistribution des richesses, sur la base de ses spécificités: c'est d'ailleurs, souvent à partir de sa périphérie qu'un système évolue, si l'on sait valoriser les compétences. Une entreprise, qui produit des richesses et participe au développement de la société et de la recherche scientifique, est un bien; cela n'est aucunement contesté. Cependant, la richesse, avec comme seul but le profit et l'accumulation, contredit le sens du monde, tel que signifié à la fois par la pensée moderne et le monothéisme. De plus, le développement inégal et les règles du jeu imposées par l'ordre capitaliste suscitent dans le Monde musulman tantôt un sentiment de désordre et d'inquiétude générateur de résistance, tantôt une tentation de dépendance et de suivisme. Les Arabes, depuis 15 siècles, avec leurs différentes sociétés, sont attachés à la propriété privée, mais influencés positivement par des valeurs morales et religieuses comme la primauté du sens éthique, la justice sociale, l'interdiction de l'usure, la limitation des besoins. En ce sens, nous disent des spécialistes comme l'économiste Samir Amin ou l'orientaliste Maxime Rodinson, elles n'ont jamais été des sociétés capitalistes, où les valeurs marchandes écrasent parfois les principes de la vie humaine. Cependant, le rôle d'intermédiaire joué par les pays musulmans entre les régions, Asie, Afrique, Europe, a décliné avec le transfert des centres de gravité de l'économie et les découvertes scientifiques. L'économie de marché dérégulée ne règle pas les problèmes Les conditions nécessaires au développement du capitalisme, l'accumulation du capital argent et la prolétarisation ne sont apparues en terre d'Islam qu'au XXe siècle. Du fait des orientations culturelles et des spécificités historiques et sociales du Monde musulman, il n'y a pas eu d'exclusion à grande échelle de populations, de réelle formation d'un prolétariat, ni de monopole en matière de capitalisation de l'argent, ni d'appropriation privative exclusive des moyens de production. Il faut aussi souligner que le Monde musulman a constitué une entité politique relativement cohérente et florissante durant sept siècles environ, à Médine, Damas, Baghdad, Cordoue. Sa fragilité économique en face des bouleversements a tenu, pour une large part, au rôle mineur qu'y jouait l'agriculture, sauf exception comme l'Egypte. Il suffisait donc que les échanges périclitent pour que les Etats, les villes et la vie nomade soient en péril. Aujourd'hui, dans le contexte de la mondialisation injuste qui profite au Nord et produit des inégalités, faute de réformes approfondies, au Sud, les ressources dépendent principalement de facteurs internationaux. Même si elle est naturellement adoptée par les pays musulmans, faute de modèle alternatif, l'économie de marché dérégulée ne règle pas les problèmes de la justice sociale, de l'émancipation, du développement dans tous les sens du terme. En conséquence, des expériences locales respectant à la fois les besoins propres, l'environnement et la compréhension spécifique du développement méritent d'être engagées, dans le cadre d'une coopération et d'un partenariat inscrits dans la durée. Pour l'avenir des relations internationales et les rapports entre l'Occident et l'Islam, dans le cadre de la mondialisation, il est urgent de mettre l'accent sur la société du savoir, lié au nationalisme, car science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Cela exige de nous un point de vue qui garde le cap sur l'essentiel, c'est-à-dire la justice, la souveraineté, et le sens de la vie propres à nos sociétés, préoccupations réelles et légitimes de tous les peuples. Les écueils sont réels, la marge de manoeuvre et les possibilités de peser sur la réalité et de répondre à ces besoins fondamentaux ne sont pas données d'avance, mais il n'est pas impossible de progresser en la matière, si le partenariat, la coopération et le dialogue dominent, plutôt que l'unilatéralisme. Un constat s'impose: le monde moderne, fondé sur le libéralisme sauvage, la société de consommation et l'économisme, dérive. La crise a atteint un seuil alarmant, trop de précarité, d'inégalités, de violences. Malgré de réelles opportunités, la mondialisation se présente sous les figures du monopole du savoir, de l'injustice et de l'insécurité. En effet, les inégalités s'aggravent à la fois au sein des sociétés et entre les différentes régions du monde, entre les pays développés et les autres, même si des progrès et des formes de modernisation sont enregistrés dans nombre de sociétés du Sud en voie de développement. Paradoxalement, les aides au développement se réduisent et représentent en moyenne un misérable 0,2% du budget des pays riches et les politiques financières et économiques des institutions internationales ne prennent pas suffisamment en compte les objectifs d'indépendance, les spécificités et la dignité des gens. Le tiers-monde, pour des dizaines de pays, est devenu un quart monde et la précarité s'y transforme en extrême pauvreté. De tiers à quart, c'est la paupérisation aggravée par la crise économique. Les écarts entre pays riches et pauvres atteignent une différence de 1 à 10, ils sont souvent incomparables, lorsque n'existent même pas l'accès à l'eau potable, une ration alimentaire minimale ni la moindre possibilité de soins. Nous assistons, au Nord, à la créationn de richesses pour une minorité et à une politique de sociétés de consommation illimitée, sans maîtrise des besoins et à une montée du chômage. Le Sud est confronté aux contraintes de la nature, à la question de la gouvernance et aux problèmes de développement. Cela conduit à des déséquilibres. La pauvreté, les injustices, les déséquilibres aggravés par la politique du «deux poids, deux mesures» pratiquée par l'Occident, signifient que le désordre et le fléau de la pauvreté ont des causes multiples, principalement économiques et sociales, même si des questions culturelles s'y greffent. En conséquence, la responsabilité de tous et de chacun est engagée; reste à s'élever à une analyse critique de l'injuste mondialisation qui apparaît comme un leurre et intégrer la mondialité du savoir. Compter sur soi et s'ouvrir au monde Il s'agit de compter sur soi, en valorisant les élites engagées et compétentes. Les contradictions du monde actuel se fondent sur trois dimensions préoccupantes: premièrement, le Marché crée des richesses, mais dans le cadre du libéralisme sauvage il le fait en opposition avec la solidarité, même si des capitalistes ont parfois le souci d'allier à leur politique du profit, celle de la justice sociale et citoyenne. Deuxièmement, le savoir dominant, celui de la technicité, assure des formes d'efficacité, mais en opposition avec le sens et les possibilités d'une pensée qui reste attachée au sens du monde et à la morale. Troisièmement, une vision unilatérale du monde nivelle, en opposition avec le droit à la différence, à la diversité, à la souveraineté et à l'hétérogénéité des sociétés. Ces trois contradictions, aggravées par la guerre de la désinformation, aboutissent à la déshumanisation sur le plan éthique, à la pauvreté sur les plans économique et social et à une remise en cause de ce qui fonde l'existence, c'est-à-dire l'indépendance des peuples, la liberté et le sens de la vie, tels que pensés depuis des siècles. Jamais le monde n'a été autant inégalitaire. En conséquence, il est légitime de se protéger, en misant avant tout sur la dimension nationale, tout en multipliant les alliances et échanges à travers le monde, avec les mouvements épris de partage, de justice sociale et d'équité. La mondialisation sera juste ou ne sera pas.