Les résultats donnent une victoire aux partisans d'une révision constitutionnelle limitée, que l'armée juge suffisante pour organiser dans les six prochains mois des élections législatives et présidentielle. Le référendum constitutionnel en Egypte est salué comme un exercice démocratique réussi et un succès pour le projet de l'armée de remettre rapidement le pouvoir aux civils, mais certains redoutent qu'il soit à terme détourné au profit des islamistes. Les foules patientant samedi dans de longues et inédites files devant les bureaux de vote du pays le plus peuplé du monde arabe ont tranché par rapport aux scrutins du temps de l'ancien président Hosni Moubarak, notoirement truqués et boudés par la population. Le taux de participation annoncé (41%), bien que moyen par rapport à d'autres élections dans le monde, marque une rupture par rapport à la participation habituelle en Egypte, souvent autour de 15 à 20%, voire moins. Le quotidien à grand tirage al-Ahram affirme hier dans un éditorial que ce vote était un «succès pour la démocratie». «Tout le monde a gagné dans le pays, que l'on ait voté oui ou non», souligne pour sa part le quotidien gouvernemental al-Gomhouriya. Les partisans du rejet de la réforme, qui plaidaient pour un changement de Constitution plutôt qu'un replâtrage de l'ancienne, ont fait contre mauvaise fortune bon coeur. La «Coalition des jeunes pour la révolution», qui fédère des mouvements ayant participé à la chute de M.Moubarak le 11 février, a salué un «processus démocratique historique». «Nous sommes au seuil d'une ère nouvelle au cours de laquelle les Egyptiens vont façonner leur Etat pour les décennies à venir (...). Nous devons continuer à réaliser les ambitions de la révolution», estime la coalition sur sa page Internet Facebook. Mais des voix se sont aussi élevées pour s'inquiéter d'un succès qui, au-delà de son caractère démocratique, est aussi largement dû à la mobilisation du puissant mouvement des Frères musulmans en faveur du «oui». «Le référendum a été exempt de fraude, mais pas d'influences, compte tenu des Frères musulmans et de cette tendance religieuse», écrit l'éditorialiste Souleimane Gouda dans le journal indépendant al-Masri al-Youm. «Les mosquées ont été utilisées pour influencer les électeurs», assure-t-il. Un membre de la confrérie islamiste a participé aux travaux de la commission d'experts chargée par l'armée d'élaborer les amendements constitutionnels, qui prévoient en particulier de limiter toute présidence à huit ans au plus et d'assouplir les conditions de candidature à la magistrature suprême. A la grande satisfaction des Frères, la révision ne touche pas à l'article 2 de la Constitution, qui fait de l'islam la religion d'Etat et des «principes de la loi islamique» la «source principale» d'inspiration de la législation égyptienne. Ces dispositions sont très critiquées dans les milieux laïcs, et chez les Coptes (chrétiens d'Egypte) qui représentent 6 à 10% de la population. «Le pouvoir doit être remis à un gouvernement élu laïc, pas aux Frères, pas parce que nous ne voulons pas d'eux mais parce que la situation exceptionnelle du pays en ce moment joue en leur faveur», face à des partis politiques laïcs encore faibles, estime Souleimane Gouda. Les Frères musulmans ont assuré qu'ils ne comptaient pas prendre le pouvoir lors des prochaines élections. Ils ont toutefois demandé une nouvelle fois à pouvoir former un vrai parti politique, ce qui leur est interdit par la loi actuelle, et ont engagé un rapprochement avec des formations laïques en vue d'une possible coalition électorale.