Après des décennies d'élections truquées au profit d'un régime omnipotent, les Egyptiens ont découvert la sensation, toute nouvelle, de voter et d'attendre les résultats sans pouvoir anticiper sur ce qu'ils seraient. Ils sont tombés, finalement, dans la soirée de dimanche et, pour la première fois aussi depuis très longtemps, personne n'a trouvé à redire, tous s'accordant que, bon an mal an, le référendum s'est déroulé dans de bonnes conditions. 14 millions d'électeurs, soit 77,22% d'électeurs, ont dit “oui” à la révision constitutionnelle, contre 4 millions, soit 22,8% qui l'ont rejetée. Avant même l'annonce des résultats, les acteurs politiques, la presse et les observateurs, à l'image de l'ambassadrice des Etats-Unis au Caire, ont salué la mobilisation “historique” des électeurs. Dès lors que la Constitution amendée a été adoptée, tous les partis politiques interdits ou clandestins pourront activer légalement, ce qui constitue l'entrée de fait de l'Egypte dans l'ère post-Moubarak. Ce oui massif laisse les mains libres à l'armée, dépositaire du pouvoir depuis la chute du raïs, de mettre en œuvre sa feuille de route en vue d'un retour rapide à un régime civil. Il s'agira pour elle, conformément à ses engagements, d'organiser dans les tout prochains mois des élections législatives, suivies d'un scrutin présidentiel. Il n'en demeure pas moins que le résultat du référendum, que personne n'a dénoncé pour l'heure, devrait interpeller l'opposition non islamiste. Bien que regroupant les partis de l'opposition légale et clandestine, les cyber-révolutionnaires qui ont provoqué la chute du régime, et des personnalités de premier plan comme Amr Moussa et Mohamed El Baradei, cette opposition n'a réussi à mobiliser autour du “non” qu'un peu plus de 22% de l'électorat. A contrario, on peut estimer que le Parti national démocratique (PND), vitrine politique du régime de Moubarak, peu enclin à contrarier les militaires au pouvoir, s'est mobilisé pour le oui, même s'il a fait preuve d'une certaine discrétion. La confrérie des Frères musulmans, elle, a ouvertement fait campagne en faveur du oui. Quel que soit le nombre de voix indépendantes qui ont pu appuyer le projet de révision constitutionnelle, ces deux formations semblent représenter un poids conséquent, pour ne pas dire omnipotent, le oui l'ayant emporté à près de 80%. Ce n'est pas surprenant outre mesure puisque ce sont les deux seules entités politiques organisées et implantées dans la société. Rien n'indique que cette configuration puisse évoluer de manière notable d'ici à l'organisation des élections législatives qui pourraient intervenir d'ici à trois ou quatre mois. À imaginer alors que le PND et les Frères musulmans arrivent en tête lors du futur scrutin législatif, le devenir démocratique de l'Egypte serait pour le moins décevant pour des millions d'Egyptiens. Ils auraient, en effet, à reconduire l'ancien régime, même un tant soit peu relooké, ou à se lancer dans une aventure islamiste avec, comme conséquence, le renoncement forcé à cette même liberté pour laquelle tant d'hommes et de femmes sont tombés. En somme, si les choses restent en l'état, et il paraît peu envisageable qu'elles évoluent de manière significative d'ici aux prochains rendez-vous électoraux, l'opposition non islamiste est incapable de constituer à elle seule l'alternative démocratique. Dans le meilleur des cas, en imaginant que ni le PND ni les Frères musulmans n'obtiennent la majorité absolue aux législatives, elle pourra s'arroger le rôle d'arbitre. Soit elle s'allie à l'ancien parti au pouvoir pour faire barrage aux Frères musulmans, soit elle fait l'inverse. Un vrai dilemme.