La soixante-cinquième rencontre de la cité des Papes, Avignon, avec l'art des planches, aura donc rendez-vous avec la Révolution, celle qui secoue, tel un sirocco, les contrées du sud de la Méditerranée et qui aura pris son essence à Tunis, sur les rives de la Medjerda. Fadhel Jaïbi et sa muse Jalila Baccar diront, avec Amnésia, la geste tunisienne, encore plus percutante que la hilalienne, dans un spectacle qui avait empêché les censeurs à la solde du président déchu Ben Ali, de fermer pas même un seul oeil, en avril et mai 2010, lorsque la pièce a été présentée dans une salle du centre de Tunis. C'est l'histoire d'une amnésie qui a agi telle une solution au formol dans laquelle les régimes de Bourguiba et d'une manière encore plus implacable celui de «Zaba» (Zine El Abidine Ben Ali), ont tenté de plonger tout un peuple. Espérant sans doute une amnésie collective...La suite on la connaît, n'écoutant que son courage et fredonnant les vers célèbres de Aboul Kassem Ech Chabbi, chantant la volonté d'un peuple capable de «briser les chaînes de l'asservissement», le peuple a mis dehors par un 14 janvier au soir, le Caligula local et sa Messaline... Jaïbi et sa compagne Baccar ne l'ont jamais épargné ce régime lâche, même au prix de grands tracas et c'est donc un hommage amplement mérité que le duo qui officie à la tête du Festival d'Avignon, rend aux révoltés tunisiens en racontant les années de plomb sous la voûte constellée de la nuit provençale. Les milliers d'habitués de la Cour Carrée et des nombreux autres lieux de représentation auront aussi l'occasion d'avoir un aperçu assez exhaustif des révoltes qui ont animé l'humanité depuis les temps antiques avec l'Antigone du Libano-Canadien Wajdi Mouawad aux temps du goulag avec la pièce longtemps mise sous le boisseau stalinien Le Suicidé de Nicolaï Erdman, mise en scène de Patrick Pineau. Sans oublier le rendez-vous pris avec Jeanne Moreau accompagnée en musique par le dandy oranais, Etienne Daho, qui diront Jean Genet, l'homme aux mots de soufre...Rachid Ouramdane reviendra, quant à lui, rappeler les racines algériennes de ses parents, avec «Exposition Universelle» une création qui s'appuie, en partie, sur le body art et qui permettra au célèbre chorégraphe de proposer une réflexion sur la place de l'art, de la culture: «De quelle façon une idéologie s'incarne-t-elle dans des formes sensibles? Quelles attentes du pouvoir l'oeuvre d'art vient-elle servir? Quels stigmates l'histoire politique laisse-t-elle sur les corps? Aucune société, que le pouvoir y soit conservateur, libéral ou révolutionnaire, ne s'est développée en considérant l'art comme production accessoire. L'histoire politique est indissociable des formes qui l'incarnent. Arts affiliés à l'idéal d'une nation, science héraldique, art des blasons, mouvement futuriste, esthétique commémorative, réalisme socialiste, corps statufiés et monumentaux, idoles officielles et graphisme d'Etat...c'est cette multiplicité d'images que je tenterai de faire apparaître, comme des réminiscences, par le biais de la danse, de la création sonore live, et d'images vidéo», ainsi parle Ouramdane de son travail... A Avignon, l'artiste-associé de cette année, sera le talentueux danseur Boris Charmatz, l'homme au «corps tellurique» se propose de rassembler «en un seul mouvement le patrimonial et le spectaculaire, la recherche et la création, l'éducation et la fête». Gageons, enfin, que le public sera aussi de la fête, du 6 au 26 juillet, avec Juliette Binoche, Patrice Chéreau, Romeo Castellucci aussi bien qu'avec la troupe de Marcial Di Fonzo Bo et les dizaines de compagnies qui vont se relayer pendant presque un mois, pour le grand bonheur des amoureux du spectacle vivant et du chant incessant des cigales...