Mouammar El Gueddafi a souffert du départ de Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir à Tunis. Et il l'a dit presque avec fierté. Le plus ancien chef d'Etat encore en exercice au monde n'a pas supporté que le maître de Tunis parte, chassé comme un malpropre par la rue tunisienne. «Vous auriez dû être patients et attendre 2014», a-t-il conseillé d'un ton paternel. Plus loin, le guide libyen a dit aux Tunisiens, qui semblent – les pauvres – ignorer que Ben Ali était «une montagne de flamboyance», que le maître de Carthage méritait la présidence à vie. Pas moins que cela ! «Et moi, je dis la vérité aux gens. J'ai toujours été franc avec le citoyen arabe. Ben Ali ne m'a rien donné pour dire cela», a-t-il soutenu. Les autres, ceux qui ont courageusement manifesté dans la rue, affrontant les balles réelles de la police de Ben Ali, n'avaient rien vu. Ils seraient même «ingrats», selon l'analyse superficielle d'El Gueddafi. «Ben Ali est le président le mieux placé pour la Tunisie. Et puis, ramenez les preuves de la corruption pour juger les gens», a-t-il tranché. Tripoli a-t-il mis la Tunisie sous son protectorat ? L'opposition tunisienne a répliqué par le mépris à l'égard de ces déclarations. «Cela nous étonne pas. Le président fuyard et El Gueddafi sont liés par une longue amitié. Une amitié très forte également avec la famille Trabelsi, celle qui avait la main haute sur toute l'économie du pays», a déclaré l'opposant Walid Al Mazini à Al Jazeera. La Tunisie est le principal partenaire commercial de la Libye en Afrique et dans le monde arabe. Les échanges ont dépassé les 2 milliards de dollars à fin 2010. Les deux pays veulent même créer, à terme, une zone de libre-échange commune. Une zone isolée de celle du Maghreb ou du monde arabe. Dès le début de la contestation en Tunisie, à la mi-décembre 2010, Tripoli, venu à la rescousse du régime de Tunis, a offert aux jeunes du pays des postes d'emploi et des facilitations fiscales. Plus de 5000 jeunes Tunisiens sont déjà partis en Libye. Avant de fuir vers Malte, Ben Ali avait consulté El Gueddafi. Le guide de la révolution libyenne n'a, par contre, pas offert son hospitalité au président déchu. L'amitié supposée entre les deux dirigeants ne semble pas aussi puissante que cela ! Il reste que la situation interne en Libye, soigneusement cachée par un régime encore sûr de lui, va, un jour ou l'autre, alimenter les chroniques internationales. Les rumeurs de la guerre de succession entre les fils El Gueddafi, Seïf Eddine et Mouatassim, et les affrontements, encore faibles, entre réformistes et conservateurs, vont redessiner la carte politique future de la Jamahiriya. A l'intérieur du pays, il n'existe aucun débat libre sur ces questions, pourtant décisives pour la Libye. Aussi, l'attitude d'El Gueddafi, méprisant la «révolution» du peuple tunisien, se comprend-elle aisément.