Le vertige de la joie saisit partout le visiteur étranger des sept collines sur lesquelles la cité historique a été fondée. Récemment, ayant séjourné, lors d'une semaine touristique impromptue, dans la presqu'île triangulaire turque, Istanbul, capitale culturelle de l'Europe en 2010, m'est apparue comme une symphonie de magnificence dont la jouissance paradoxalement remue l'âme et déroute l'esprit. Pour l'Algérien qui s'y rend pour la première fois, c'est une fête, mais elle n'a rien de nostalgique. C'est une simple contemplation - sans doute animée d'une curiosité intellectuelle aussi - d'une ville qui force à imaginer la valeur de son symbole d'autrefois et à espérer de ses aptitudes à produire, là où elle est, un avenir profondément humain... Je voudrais partager avec vous mes notes prises à la hâte par manque de temps nécessaire. L'Asie et l'Europe se donnent la main Stratégiquement posée entre deux continents, depuis la plus haute antiquité et durant des siècles, Istanbul offre au regard le plus exigeant ses atours flamboyants d'art et d'histoire et à l'ouïe fine sa parole non bavarde surgissant d'un hymne de foi plus épuré qu'un poème baroque et sentencieux. La Corne d'Or (Haliç), le Bosphore (Bogaziçi) et la mer de Marmara forment les extrémités de l'Europe et l'Asie, marquant en cet endroit, avec les Dardanelles, la limite méridionale entre ces deux continents. Le nom Bosphore, selon une mythologie célèbre, faisant allusion à l'histoire d'Io, jeune fille aimée de Zeus, changée par lui en vache, signifierait «Passage de la Vache» (de Boùç [bous], «vache», et poroç, [poros], «passage» soit «passage étroit» ou «détroit» au sens propre du terme de la topographie géographique). Toutefois, ce toponyme pourrait, s'appuyant sur une étymologie populaire, dériver d'un terme local qui, inspiré du vocabulaire de Thrace, désignerait «rivage», «bordure». Une imagination fertile trouverait certainement une autre signification. Le Bosphore est long de 32 km pour une largeur de 698 à 3000 mètres. Les splendeurs de la nature et les architectures appliquées par l'homme artiste, respectueux du divin et de lui-même, a créé ici un monde à nul autre pareil: l'Asie et l'Europe se donnent la main. Le chef-d'oeuvre humain est totalement là, dans cette rencontre et dans ce centre du Vieux Monde que constitue l'originalité d'Istanbul. Les murailles romaines et aqueducs du Ve siècle, gigantesques serpents figés, ornements avantageux et inattendus, s'allongent en s'effaçant dans le paysage urbain antique, ottoman et contemporain. Sur les collines, les dômes prodigieux des mosquées féeriques de l'époque ottomane couronnent la cité. En face de la Corne d'Or, dans le quartier de Galata bourdonnent des colonies commerciales de diverses origines. Dans la rive asiatique et du Bosphore, l'urbanisme le plus moderne a suivi hardiment, en les enrichissant, les traces humaines du glorieux passé du site istanbuliote, façonnant un lieu d'échange entre l'Orient et l'Occident, le point de rencontre de deux mondes différents et complémentaires. De nos jours, Istanbul s'étend amplement de part et d'autre sur les rives asiatiques et européennes du Bosphore de la République de Turquie. Istanbul, la mémoire Le nom d'Istanbul éveille la mémoire algérienne: Sultân Gezayir - Alger, la Ville-Sultane ou plus exactement Wâli-i-Sultân Gezayir - et les trois cents ans de l'époque ottomane. Rappelons-nous El Qaçba, zemân, La Casbah d'Alger, autrefois, et Khair-Eddine (l'un des quatre «frères Barberousse») qui, succédant à ‘Aroûdj et se rangeant sous la protection du puissant sultan d'Istanbul, Sélim 1er l'Inflexible, est devenu beylerbey puis est nommé Pacha. Bientôt, jouissant de la confiance et de l'amitié du Sultan Soliman qui a succédé, en 1520, à son père Sélim 1er, Khair-Eddine est, en 1533, nommé amiral en chef (kapûdân pacha) des flottes ottomanes pour ses exploits extraordinaires de Chef des corsaires. Lorsqu'il est appelé, plus tard, à Istanbul pour être chargé d'honneurs et comblé de richesses et qu'il a été invité à y terminer ses jours, Khaïr-Eddine laisse El Djazâir - non pas seulement la ville, mais aussi tout le pays qui est définitivement ainsi nommé - au Gouvernement de successeurs désignés par les différents sultans régnant et résidant au palais de Topkapi à Istanbul. On emploie des synecdoques pour dénommer le Gouvernement d'Istan-bul: c'est el Bâb el ‘Âlî, la Porte la plus élevée ou encore Bâb-i Hümayyun, la Sublime Porte ou la Porte Auguste ou simplement la Porte. (Initialement, cette expression désignait l'entrée de la demeure du Grand Vizir dans le palais impérial de Topkapi à Istanbul, siège du gouvernement et résidence des sultans ottomans.) Khaïr-Eddine décède le 4 juillet 1546 à la veille de ses 80 ans, son modeste mausolée funéraire existe dans le parc en bas du boulevard Barbaros, à côté d'une mosquée qu'il avait fait bâtir par l'architecte impérial Mimar Sinan et sa statue, non loin du Musée de la Marine (Deniz Müzesi) et du palais Dolmabahçe Sarayi, dans le quartier des Cochers de Besiktas, littéral: «berceau» ou «tas» de pierres». Istanbul est la plus grande agglomération du pays. La ville historique étant située sur la rive occidentale du détroit du Bosphore, elle est considérée comme européenne. Elle compte, dit-on, dix-neuf millions d'habitants et ses activités économiques et culturelles sont les plus développées du continent. Depuis le 28 mars 1930, elle est officiellement appelée Istanbul (du grec mêtêr, mère, et polis, ville), autrement dit «la cité Mère» de la Turquie. Le nom Islam-bol («là où l'Islam abonde») serait une étymologie populaire imaginée après la conquête ottomane pour exprimer le nouveau rôle de la cité en tant que capitale de l'empire ottoman musulman, puis siège du califat mais surtout pour asseoir la légitimité de l'un et de l'autre. Durant son histoire, Istanbul a porté d'autres noms: Byzance à sa fondation, Constantinople à partir du 11 mai 330 sous l'empereur romain Constantin 1er. Elle a été appelée aussi la «Nouvelle Rome» (car tout comme Rome, elle a été fondée sur sept collines). Elle a appartenu à la Grèce antique, à l'Empire romain et après 395, à l'Empire romain d'Orient, appelé au XVIe siècle «byzantin». Depuis le 29 mai 1453, elle est la capitale de l'Empire ottoman. Les historiens considèrent parfois que cette date marque aussi la fin du Moyen Âge et le début de la Renaissance. J'évoquerai dans Le Temps de lire de mercredi prochain, le développement historique de la Turquie à la suite de la chute de l'Empire ottoman tout en continuant, bien que brève, ma visite d'une partie d'Istanbul et sa région. (Diverses sources)