L'oeuvre du regretté Abdelhamid Benachenhou, cet enfant de la «Perle du Maghreb», cet homme de grande culture islamique, impeccable bilingue et militant nationaliste algérien, mérite d'être évoquée en cette année 2011 de «Tlemcen, capitale de la culture islamique». Né le 7 décembre 1907 et décédé le 31 août 1976 à Tlemcen dans une famille durement touchée par l'oppression coloniale et aux ressources fort modestes, Abdelhamid Benachenhou a connu très jeune les affres de l'exode de 1911. Dès l'enfance, marqué par le vivre difficile en pays colonisé, il a, coûte que coûte, eu l'ambition de s'instruire; sa volonté d'aller loin dans ses études l'a conduit, en dépit de mille et un obstacles dus à la pauvreté et aux tracasseries et vexations de l'administration coloniale, à se rendre à Fès pour étudier à l'université El-Qarawiyine. Après l'idjâza, il obtient un emploi administratif, tout en apprenant le tamazight. S'intéressant très tôt à l'histoire de sa seule patrie l'Algérie, il fait ses premières recherches sur la dynastie almoravide qu'il a réussi à publier dans la revue scientifique Hesperis, en 1935. À Rabat, il entreprend des études supérieures et, élargissant ses centres d'intérêt aux domaines de la langue (il apprend le tamazight), de l'histoire et du droit musulman, ses recherches portent particulièrement sur le Maghreb profond, - ce qu'il expose avec compétence dans plusieurs de ses ouvrages en arabe et en français. L'ensemble de ses écrits constitue, en quelque sorte l'expression de sa propre pensée nationaliste. Son militantisme actif et multiforme pour l'indépendance de l'Algérie est apparu, sous un nom de plume, dans El Bassâir (publication de l'Association des Ulémas Algériens) et dans ses contributions, sous diverses formes, aux mouvements politiques, le PPA-Mtld et l'Udma, par exemple. Pendant la guerre de Libération nationale, les hauts responsables du Gpra, les moudjahidine et les dirigeants syndicalistes de l'Ugta naissante ont trouvé en lui un nationaliste réfléchi et efficace. À l'indépendance, Abdelhamid Benachenhou retrouve sa chère patrie libérée. Il occupe des postes importants de responsabilité d'homme de culture. Il est directeur du Journal officiel, puis enseignant à l'Ecole nationale d'administration. Il fait des conférences publiques, écrit dans la presse en arabe et en français, produit des émissions à la radio (j'en ai coproduites plusieurs avec lui pour la chaîne III). Ses ouvrages sont nombreux en arabe et en français, en voici quelques titres: Du mandat ou procuration, Goethe et l'Islam, Le Tombeau de Abdallah ibn Yassine (études archéologiques), Contes et récits du Maroc, Hassan ben Mohamed el Ouazzane dit Léon l'Africain, Juba II, L'Algérie en 1515, L'Algérie en 1830: ses institutions sous l'émir Abdelkader, Aspect de la Révolution algérienne (inédit), La Dynastie almoravide et son art, L'Algérie terre d'Islam (inédit), Evocations de l'Islam (inédit), L'Islam. Dans son livre La Dynastie almoravides et son art, Abdelhamid Benachenhou a essayé de montrer que «C'est la première fois, dans les annales du Maghreb qu'une idée philosophique ne venait pas de l'Orient, mais du fond des immensités sahariennes.» En effet, il le précise dans son avant-propos, écrivant: «Ces Sahariens parvinrent, victorieusement, jusqu'au méridien de Bejaïa à l'est et jusqu'aux marches du royaume de Castille et de Léon en Espagne, indépendamment de leur pénétration dans les royaumes du Mali, du Niger et du Sénégal où ils avaient imposé leur loi, depuis longtemps déjà. Une dynastie s'était constituée. Elle prit le nom d'Almurabitoune, mot transformé par les Espagnols, en Almoravide.» L'auteur détaille l'évolution du processus d'instauration de la dynastie almoravide et le développement d'un art nouveau en islam, ce qui a été naturellement appliqué (après la conquête d'Agadir) dans la fondation (XIe s.) d'une capitale brillante: Taghrart, sur le site de la future et prospère Tlemcen. Cet art jeune, pour l'époque, inspiré de l'art hispano-mauresque, n'a pu, par une sorte de déhiscence espérée, reproduire sa singulière harmonie; la cause est connue: cet art «fut surpris par la poussée almohade.» Néanmoins, en dépit de l'acharnement de ses puissants ennemis à effacer les traces de la civilisation almoravide et, aussi là où «le ciseau destructeur du maçon passa même sur les inscriptions sculptées dans le marbre ou sur la pierre», des vestiges somptueux témoignent de l'art raffiné nouveau et évidemment différent de l'art maghrébin qui avait pourtant brillé sous l'influence de l'Orient. Abdelhamid Benachenhou décrit plusieurs monuments tout en regrettant qu'il en reste peu qui correspondent au spécimen marocain de l'art almoravide. Il cite le sanctuaire de Abdallah Ibn Yassin au sud de Rabat et le décrit soigneusement, ainsi que l'enceinte de Tlemcen almoravide appelée «Taghrart» avec ses pans de murailles: Bâb el Qarmadine (Porte des tuiliers), Chonqar Bâb Rouah (Pic de la Porte du Retour) et Qaçar el Qadîm ou Qaçar el Bali. Il ajoute à ses édifices favoris les mosquées de Nedroma, de Ténès, de Tlemcen et d'Alger. Il s'appesantit sur ces deux dernières mosquées qui «sont les spécimens les mieux conservés de l'art almoravide». Il écrit encore: «La grande mosquée de Tlemcen est le plus beau monument laissé en Ifriqiya par la dynastie éphémère. Il est situé à l'intérieur de l'enceinte de Taghrart.» Quant à la grande mosquée d'Alger, elle se présenterait comme un monument constituant «une superposition d'apports de plusieurs époques. [...] Il s'agit d'un des monuments les plus antiques d'Afrique du Nord. La mosquée a été bâtie ou rebâtie par les Almoravides en 1096. [...] Les deux bâtisses, dont nous venons de donner la description, ont été édifiées, semble-t-il, par des artisans andalous. Les Almoravides avaient, en effet, recours à des architectes et des entrepreneurs et même des ouvriers amenés d'Espagne.» Rappelons, à ce sujet, la note de Abdelhamid Benachenhou, citant Enrique Sordo, l'auteur de L'Espagne mauresque: «L'art des Almoravides ne se développe pas sur le sol andalou. C'est plutôt l'art andalou qui se développe sur le sol almoravide puisque le sultan Ali ibn Youssef fit venir, en Afrique, des artisans de la péninsule. Cet art se distingue par un équilibre entre le sens de l'ordre propre à l'art califal et la richesse caractéristique de l'art des Tayfas.» Et voilà qu'il est bon de dire: ouel h'dîth q'yâs!, «le propos est bien de juste mesure». En terminant, je formule ce voeu: Que la mémoire de Sî Abdelhamid Benachenhou soit honorée en cette année 2011 de «Tlemcen, capitale de la culture islamique», in châa Allah... (*) La Dynastie almoravide et son art de Abdelhamid Benachenhou, EPA, Alger, 1974, 116 pages.