Un jeune dealer en rupture de ban avec ses parrains, qui a requis l'anonymat, Sorti à peine de l'adolescence, il a déjà son passé derrière lui. Très jeune, il s'est retrouvé par hasard au centre du réseau de stupéfiants le plus puissant de la banlieue d'Alger et qui dispose d'une vingtaine de dealers sous la coupe d'un «grossiste». Il est entré dans le réseau comme on entre pour la première fois dans une mosquée. Son ami le plus intime lui fait part un jour de son jeu caché et propose de le présenter au chef. Ils sont assis à El Fouara (le jet d'eau) de Saoudia, le boulevard principal de Bab Ezzouar. Il accepte l'offre et suit son ami dans l'aventure périlleuse des narcotiques. Les présentations se passent le plus normalement du monde. Il prend d'abord une plaquette de Polina pour une valeur de 100 dinars, juste pour affirmer son aptitude, et s'en va se balader dans le souk d'El-Djorf. Le même jour, il la file à un camarade de classe et revient avec l'argent revoir le dealer. Il obtient cette fois-ci deux plaquettes. Ainsi, il a fait son entrée sans trop de difficultés dans le monde voilé de la drogue. Au fur et à mesure que les jours passent, il découvre ce monde. Il a vu des jeunes s'entretuer au couteau, aller en prison et ressortir pour ensuite reprendre leur boulot. Il a beaucoup appris. Il a appris surtout à détecter les dealers et les consommateurs à mille lieux. Il a appris à observer les faits et gestes des gens. Il a appris enfin comment se comporter avec la brigade des stupéfiants. Selon notre interlocuteur, le noyau dur de Bab Ezzouar se situe à El-Djorf. C'est le fief du parrain qu'on appelle «le grossiste». Le Tout-Bab Ezzouar le connaît sous le pseudonyme de Lakehal de Dubaï. Ce dernier distribue la drogue par paquet de un à trois kilogrammes. Les dealers prennent par demi-kilo qu'ils distribuent en plaquettes aux nombreux revendeurs à la sauvette dont notre témoin fait partie. Les dealers sont au nombre de six à El-Djorf. Et tout le monde les connaît. On les retrouve le soir debout près du parking. Mais lorsqu'on pose la question du rôle de la police au témoin, il affirme qu'elle les connaît mais n'intervient qu'après bagarre à l'arme blanche. Leurs interventions se limitent à l'ordre public, sans plus. Le second groupe du réseau est à Bousahaki, une nouvelle cité labyrinthe non loin de Dubaï. Le troisième est la cité bidonville d'El Djazira. C'est le groupe le plus dangereux. Il y a aussi le groupe d'Elfouara, le centre nerveux de Bab Ezzouar. On retrouve également deux autres qui se déplacent entre Rabia, Soummam et les 2000 logements, près de l'université. Sur le comportement des dealers, notre interlocuteur les décrit comme des gens pleins de suffisance qui se disent couverts en haut lieu pour mieux convaincre les petits revendeurs. Il y a parmi eux très peu de «fils de famille», comme il les nomme, qui ont le sens de la loyauté, précise-t-il. Mais il tient à souligner qu'ils sont couverts et tient pour preuve le comportement des citoyens qui les connaissent et qui les craignent comme la peste. Visiblement, personne ne fait rien pour les éloigner quand ils les trouvent dans les cages d'escaliers de leurs immeubles en train de filer des joints aux jeunes. La loi de l'omerta est de rigueur à Bab Ezzouar. S'agissant de la qualité de la drogue, il confie que «la Polina est la drogue des pauvres». La plaquette peut se diviser en trois ou quatre et donner des joints de 30 à 40 dinars. Il y a aussi la Sefra, un mélange de psychotropes et de haschisch, qui est plus concentrés mais coûte le même prix. Le joint revient donc au prix de deux cigarettes Marlboro. Les chiffres officiels font état d'un taux de 30% des jeunes qui s'adonnent aux narcotiques dans les lycées et les écoles. Ce chiffre doit être revu à la hausse parce que la drogue est aussi disponible que la cigarette dans tous les quartiers populaires.