La baisse de la natalité inquiète les dirigeants sahraouis. Tout est fait pour inverser la tendance. Il est six heures. L'appel du muezzin à la prière d'El Fedjr retentit à plusieurs lieues à la ronde. Doucement, Haï Setta, petite bourgade d'une centaines de réfugiés sahraouis, située à l'extrémité du camp de l'école du 27-Septembre s'éveille à Tindouf. Sellem Bouha est déjà à pied d'oeuvre. Dans un coin de la pièce jouxtant l'entrée de la maison, aménagée en cuisine, elle s'active à préparer le petit-déjeuner. Incarnant la femme traditionnelle sahraouie travailleuse, disponible et charitable, Sellem Bouha a tout l'air d'une matriarche qui veille sur sa famille, subvient à ses besoins et la dirige. Sur la brèche depuis notre arrivée, elle a su gagner notre sympathie en facilitant notre intégration et en rendant notre séjour très agréable. Dans la tente faisant office de salon, dressée à quelques pas de la maison, une habitation sommaire de quatre pièces construites à base de parpaings et de toub, Aminatou, la fille aînée de Sellem Bouha, prépare le thé, une boisson exquise dans laquelle excellent les réfugiés sahraouis. Servi à toute heure de la journée, le thé est aux Sahraouis ce que la mer est aux poissons. Quel que soit l'endroit où vous vous rendez, on vous invite toujours à prendre un thé. De haï en haï Le préparer exige, cependant, beaucoup de doigté et de patience. A la longue, Aminatou est devenue presque une experte. Telle une chimiste de laboratoire, elle prend la quantité d'eau nécessaire, l'introduit dans la petite théière, y ajoute quelques pincées de thé vert et du sucre et met le tout à chauffer sur un feu de braise pour ne pas atténuer le goût. Ensuite, elle ajoute quelques ingrédients dont les Sahraouis ont le secret, transvase le mélange ainsi obtenu dans un petit verre, un geste qu'elle répétera plusieurs fois pour la préparation de ce digestif qui accompagne toutes les discussions et contribue au renforcement des liens entre familles. Dehors, il fait un temps glacial qui contraste avec la chaleur torride de la veille. Un épais brouillard enveloppe le camp balayé par de violents vents de sable qui rendent la visibilité et les déplacements très difficiles. La «tienda» ou épicerie du coin est encore fermée. Seul le bêlement des chèvres retenues avec leurs petits dans des enclos de fortune, tire Haï Setta de sa torpeur. A l'instar des dromadaires, ces animaux domestiques qu'on croise un peu partout, à travers le camp, ont développé une résistance à toute épreuve en s'adaptant au rude climat désertique et à la sécheresse, se nourrissant essentiellement de céréales, une à deux fois par jour. Ils constituent la seule richesse des populations de réfugiés sahraouis. Le camp s'étire sur plusieurs kilomètres. Pour rejoindre l'école du 27-Septembre, sorte de quartier général où sont implantées toutes les infrastructures nécessaires à la vie du camp, les deux pylônes électriques peints en rouge et blanc qui surplombent la vallée, nous servent de repères. Toufik et Mourad, mes deux autres confrères, hôtes de Sellem Bouha, qui ont déjà effectué le trajet à pied, m'invitent à les suivre. De maison en maison et de haï en haï, en ayant à chaque fois le regard rivé sur les deux pylônes, nous avançons en direction du lieu du rendez-vous fixé. Mais le manque de visibilité et le vent de sable qui caractérise la saison, ralentissent nos pas. A un moment donné, nous nous sommes égarés, car au lieu de nous rapprocher de l'école, nous nous sommes, au contraire, éloignés. Ce n'est que grâce à l'aide d'un réfugié que nous avons pu retrouver notre chemin et rallier enfin l'endroit convenu. Contrairement à Haï Setta, l'ensemble des tiendas situées sur l'allée principale menant à l'école du 27-Septembre sont ouvertes. Gargotes, cafés, épiceries, magasins de vêtements et d'artisanat, vendeurs de lunettes, les clients ont l'embarras du choix. Les prix affichés sont raisonnables et les prestations de services très satisfaisantes. La plupart des pensionnaires du camp convergent vers ce lieu pour faire leurs emplettes. Une animation particulière règne aux abords de l'école du 27-Septembre qui s'est parée de ses plus beaux atours pour accueillir le 6e Congrès des femmes sahraouies. Le cybercafé du coin est pris d'assaut par les clients, en majorité des collégiens qui se bousculent pour y entrer. Mais notre attention est attirée par l'agitation qui règne à la porte du musée. Décor féerique Témoin vivant du temps qui passe, ce musée constitue une mine d'informations permettant de remonter jusqu'à l'origine du premier homme africain et du peuple sahraoui. Grâce à lui, on en sait maintenant un peu plus sur la structure sociale de ce peuple, sur sa culture et sa flore. Divers ateliers ont été ouverts à cet effet. Celui consacré à la flore grouille de monde. Et pour cause, beaucoup veulent savoir comment certaines espèces d'arbres peuvent résister au rude climat désertique. L'acacia est l'arbre le plus répandu, l'eucalyptus et le palmier sont aussi des arbres très résistants que l'on trouve dans les régions désertiques. De l'autre côté de la route, coincée entre deux tiendas qui semblent veiller sur elle, la Maison de l'enfance et ses 300 pensionnaires attire, elle aussi, les regards. Constituée de cinq classes, cette école ouverte aux enfants âgés entre trois et six ans a l'aspect d'une école maternelle où les activités manuelles, la lecture et l'écriture occupent une bonne place. Les éducatrices, toutes des mères de familles sont très attentionnées et puisent au fond d'elles-mêmes pour remplir convenablement leur mission et gagner la sympathie des enfants. Le gouvernement de la Rasd accorde d'ailleurs, une importance particulière à ce volet, car comme le soulignera à maintes reprises le président Mohamed Abdelaziz «l'un des problèmes qu'affronte actuellement la société est sans doute la faiblesse inquiétante de la natalité qui nécessite la coopération entre les hommes et les femmes qui partagent une commune responsabilité afin de mettre en place une politique nataliste efficace sans laquelle il serait impossible de préserver les acquis de l'Etat sahraoui, les acquis du peuple sahraoui, les acquis des femmes sahraouies». A midi tapant, le soleil est au zenith. Las d'attendre le chauffeur qui nous avait été affecté et certainement parti à Raboune, PC du ministère de l'Information de la Rasd, pour récupérer les journalistes qui s'y trouvent, nous prenons congé de ce lieu très animé et nous nous engageons sur le chemin du retour. Arrivés à hauteur des deux pylônes, nous marquons une petite halte. De là, nous pouvons apercevoir l'ensemble du camp des réfugiés, plongé de nouveau dans sa léthargie en raison de la chaleur suffocante qui y règne. Afin de figer à jamais ce moment unique, d'immortaliser et garder en mémoire ce décor féerique dont les populations sahraouies sont les architectes, nous prenons, Toufik, Mourad et moi, une dernière photo en souvenir d'un voyage que nous n'oublierons pas de sitôt.