L'exposition de Mohamed Khadda, qui dure jusqu'au 30 du mois, a été le prétexte pour deviser sur le rôle et la fonction de l'art dans la société, a fortiori moderne. Dans le cadre du 3e Festival international de l'art contemporain d'Alger, deux tables rondes ont été organisées samedi et dimanche au Mama, en marge de l'exposition dédiée à l'artiste peintre Mohmed Khadda. La première évoquant l'oeuvre de ce plasticien, son parcours artistique et son militantisme en faveur de la cause nationale, avait pour thème «Khadda, l'art de décliner son identité en termes d'avenir». L'apport de Khadda, l'un des initiateurs de l'école du signe Awchem, au développement et à l'émancipation de l'art de la peinture en Algérie aux côtés d'autres plasticiens de sa génération, a été rappelé lors de cette rencontre, qui s'inscrit dans le cadre de la commémoration du 20e anniversaire de sa disparition. L'universitaire Zoubida Seddiki-Haddad s'est attardée sur la spécificité artistique et l'originalité de Khadda avant d'aborder sa «louable contribution à l'ouverture culturelle en Algérie après l'Indépendance». Elle a rappelé son rejet de la vision coloniale véhiculée par des poètes ou peintres européens qui «portaient sur le peuple algérien un regard misérabiliste et folklorisaient le patrimoine culturel national en le réduisait à un paysage exotique». Pour sa part, le critique de cinéma et d'art marocain, Farid Zahi, a axé son intervention sur la «dimension mystique» de l'oeuvre de Khadda. «Il n'y aura plus de Khadda après Khadda», a-t-il dit. Pour l'orateur, l'aquarelle et la luminescence des couleurs dans les tableaux de Khadda, qui reflètent la sensibilité de l'artiste, sont une approche de la mystique du Maître soufi, El Halladj. La journée de dimanche a connu des interventions plus au moins intéressantes jusqu'à tirer à l'académique touffu et confus. Si la matinée a-t-on dit fut fort éloquente, poussant le débat à bâtons rompus, l'après -midi a vu surtout des lectures de communication autour de la signification de «Les modernités hors de l'Europe» (conférences organisées en partenariat avec l'Association «Les rencontres Place publique». Pour parler de la «Modernisation transculturelle», le Tunisien Fethi Triki, actualité oblige, abordera le sujet sous le versant politique tout en soulignant trois sortes de démocratie dans le monde, celle de façade, une seconde procédurale et une troisième active. Aussi propose-t-il «la solidarité contre le solipsisme moderne et l'éthique du vivre-ensemble démocratique dans la digité et l'altérité». Pour Nadira Laggoune, critique d'art et professeur à l'Ecole des beaux-arts, il ne sert à rien de refaire ce que d'autres artistes ont fait. Elle préconise, en d'autres terme, le renouvellement constant pour ne pas tomber dans le mimétisme artistique qui se présente donc comme obsolète, en s'opposant à l'idée de modernité qui, aujourd'hui, prétend produire du «concept» partant d'un contexte bien défini. «résistance, appropriation et réapparition» est le thème de son intervention qui s'est évertuée à évoquer la démarche de nos artistes des années 1950 à nos jours. Si copier aujourd'hui n'a plus de sens, selon Mme Laggoune, ce fut jadis un acte de résistance. S'ap-proprier l'art colonial ou l'absorber jusqu'à en faire son propre moyen d'expression, était une «stratégie de résistance», au risque d'être considérés plus tard comme des «assimilés» ou des «sous-orientalistes». Une stratégie de défense qui devient, selon elle, un acte à la fois de consentement, et de subversion. S'en suivra «la réappropriation», stratégie fragile qui consiste à «proposer un art non occidental tout en ouvrant une petite brèche dans celui-ci». Et de citer l'exemple du miniaturiste algérien, Mohamed Racim. Il s'agissait ainsi de développer des langages nouveaux à l'instar de Khadda qui inventera dans les années 1950 «la carte d'identité de l'art algérien». Aujourd'hui, d'autres artistes sont dans cette tradition de résistance, d'après elle. Ils s'appellent notamment Rachida Azdaou, Amina Menia ou encore Amar Bouras etc. «L'art et la culture ne sont pas isolés de la société» dit- elle. Résistance ainsi au niveau de l'esthétisation de l'histoire et contre une norme de forme d'art. Pour le Canadien et théoricien de l'art, Stephen Wright, il existe deux sortes d'artistes, les «vernaculaires» qui puisent leur art du territoire et les autres, artistes du monde qui oeuvrent à arracher l'art à toute appartenance territoriale. Ils appartiennent ainsi à «l'extraterritorialité réciproque». Si les premiers font souvent appel à leurs héritages, les seconds tentent de refléter un désarroi d'un monde qui a perdu ses repères. Les artistes de cette deuxième catégorie sont présentés comme étant plus corrosifs et revendicatifs. Ils confrontent leurs champs esthétiques à d'autres. Ils aspirent à une mobilité continuelle et un désir d'arracher l'art à lui, même comme disait Marcel Duchamps qui a séjourné jadis, en Algérie. M.Wright donne comme exemple le journaliste Mustapha Benfodil qui expérimente d'autres voies artistiques que l'écriture en abordant un art fort ancré dans le réel. «Y a-t-il un art postconceptuel et y a-t-il eu un art conceptuel?» se demandera-t-on, au final. Beaucoup de réflexions philosophiques, au demeurant, ont émaillé cette journée, sans pour autant les étayer d'exemples vivants. Et c'est bien dommage. En somme, une table ronde qui nous a laissés sur notre faim.