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L'Histoire à travers le prisme du benbellisme
LA JEUNESSE ALGERIENNE EDUQUEE POUR CROIRE, NE DISPOSE D'AUCUN REPÈRE POUR SAVOIR
Publié dans L'Expression le 15 - 05 - 2011

Ben Bella a encore frappé. Voici ce que nous écrivions dans l'édition du 21 décembre 2002 de l'Expression, après les outrageantes déclarations de l'ex-président sur le Congrès de la Soummam.
La polémique provoquée par l'ancien président Ahmed Ben Bella à propos de Abane Ramdane et de Mohammed Khider repose avec acuité l'enseignement de l'Histoire de l'Algérie et singulièrement celle du Mouvement national manipulé, et de l'histoire de la guerre de Libération nationale politisée à outrance jusqu'à la caricature. Invité à réagir, après les déclarations outrageantes de l'ex-président, le ministre des Moudjahidine, Mohamed Chérif Abbas, ancien secrétaire général de l'ONM, a préféré se dérober renvoyant ses interlocuteurs à une circulaire affichée aux calendes grecques, alors que le rôle premier d'un homme politique, sinon pourquoi être ministre?, - et de surcroît occupant sa position - était de contrer toutes les attaques portées contre le patrimoine de la Révolution nationale. En tout état de cause, les déclarations de Ben Bella(*) appelaient, sinon à une condamnation, du moins à s'en démarquer.
A retardement, et après des décennies de silence, Lakhdar Bentobbal vient à son tour enfoncer le clou, dans un aveu qui veut justifier, a posteriori, l'assassinat politique de Abane Ramdane. Cette avalanche d'attaques contre une période charnière de la construction de l'indépendance du pays ne change rien à la donne qui demeure la mise sous séquestre de la question du Mouvement national, en particulier, de l'Histoire nationale plus généralement. Car, des dizaines de milliers d'Algériens auraient-ils donné leur vie au seul bénéfice d'une nomenklatura qui règne sans partage, détenant un pouvoir absolu sur le pays?
La remise en cause par Ben Bella du Congrès de la Soummam interpelle, outre les historiens, appelés à contribuer plus activement à la connaissance de cette période clé de l'histoire du pays, mais également les acteurs de la Révolution, encore vivants, à témoigner pour clarifier les zones d'ombre du Mouvement national algérien.
Zones d'ombre
L'absence de textes indépendants sur le mouvement national, les restrictions et omissions imposées par l'histoire «officielle» ont fait que cette période cruciale de la vie du pays est demeurée dans le flou, alors même que sa connaissance permettait d'expliquer la situation présente du pays. De fait, les jeunes Algériens ont été éduqués pour croire, et n'ont pas été formés pour savoir. Il est vrai aussi, que la croyance peut être manipulée, et ce qui est véridique aujourd'hui, peut ne plus l'être demain.
En revanche, le savoir est potentiellement dangereux car celui-ci peut remettre en question ce qui est avancé aujourd'hui pour vérité. Si les Algériens découvrent subitement qu'ils ne savaient pas tout, ou plus grave, qu'on ne leur a pas tout dit sur la guerre de Libération, que dire alors des périodes historiques anciennes, aujourd'hui noyées dans les brumes du temps?
C'est cette balance qui a fait que l'Ecole nationale n'a pu, ou a été mise dans l'incapacité, (d')inculquer aux enfants algériens les faits ayant contribué tout au long des années et des siècles à forger, et à asseoir la personnalité nationale algérienne. Leur donner les éléments à même de leur permettre de remonter par leurs propres moyens à la genèse de l'histoire ancienne et/ou récente du pays. Chaque peuple est jaloux de son Histoire, de ses traditions, des faits ayant marqué la formation de son moi identitaire. De quoi est jaloux l'enfant algérien? Répondre à ce questionnement, c'est déjà entrevoir les tenants de la crise que traverse l'Algérie depuis une décennie. Que disent ces jeunes quand ils découvrent dans les livres d'histoire étrangers que nos voisins, le Maroc et la Tunisie, existaient en tant qu'Etat depuis des millénaires, alors que l'Algérie, n'aurait apparu comme telle que depuis...l'arrivée des Français?
Le moi identitaire
Quid de Massinissa, Jugurtha, Ibn Rostom, les Hammadites, les Zianides et tant de héros et autres royaumes qui ont marqué au long des siècles la survivance et l'unité de ce qui est connu aujourd'hui sous le nom d' «Algérie»? Aussi, l'une des récurrences de la crise algérienne est que l'enfant et l'adolescent algériens n'ont pas de repères socio-historiques, ni de prise sur leurs rapports à la Nation algérienne. Repères, rapports et traditions qui, partout ailleurs, constituent le socle de l'identité et du particularisme nationaux. Il est à bon escient de parler de crise identitaire sans que soient pour autant situées ses origines, ses causes et ses implications. Ne dit-on pas qu'un peuple sans passé, ce qui veut dire sans repères historiques et traditionnels, est un peuple sans avenir? C'est un peu le dilemme qu'a rencontré, et que rencontrent les Algériens généralement, la jeune génération plus singulièrement. Cette jeune génération ne dispose d'aucun élément historique susceptible de la fixer sur sa place dans l'espace arabo-musulman auquel est rattaché leur pays, d'une part, universel d'autre part. Noyé dans le tout arabo-musulman, dans lequel il ne se reconnaît pas toujours, - ne serait-ce que du fait que la place qui est celle de l'Algérie dans cet espace humain n'est ni claire ni évidente -, le jeune Algérien est ainsi mis dans l'incapacité de dire voilà ce que je suis, voilà ma place particulière dans le Monde arabe et musulman et voilà mon apport à la civilisation humaine. Chaque peuple dispose de cette part, aussi modeste soit-elle, qui fait sa fierté. Quelle part est celle des Algériens partagés entre un passé mal assumé et un devenir sans perspective? Comment pouvait-il en être autrement lorsque, longtemps, des dirigeants politiques de premier plan ont arrêté, -ou fait débuter, l'Histoire de l'Algérie à l'avènement de l'Emir Abdelkader, fondateur de l'Etat moderne algérien? On pouvait estimer que l'Algérie moderne, ou l'Etat algérien moderne, commence avec l'Emir Abdelkader. Mais se suffire de cet axiome, c'est faire peu cas du long chemin fait par le pays pour devenir ce qu'il est. Car, l'Emir Abdelkader, qui n'a pas surgi du néant, est bien le produit d'une culture et d'une idée nationales déjà bien implantées, induites par des hommes qui, au long des siècles, ont façonné ce pays, lui ont construit son historicité, lui ont forgé ses traditions. S'en tenir à cette vision réductrice de l'Histoire du pays n'est-ce pas, quelque part, donner crédit à l'affirmation du colonialisme français qui, longtemps, soutint qu'il a conquis un pays libre «habité par quelques tribus barbares?» Mais, même le colonialisme français, venu, n'a-t-il cessé de le répéter, apporter la civilisation aux «sauvages que nous étions», a fini par abandonner cette absurdité, ne serait-ce que du fait de l'existence dans le passé algérien d'hommes exceptionnels dont le penseur saint Augustin, le guerrier et chef d'Etat Massinissa, le sociologue Ibn Khaldoun, né à Tunis, mais qui passa l'essentiel de sa vie à Béjaïa, Tlemcen et Tiaret où il acquit sa maturité et composa sa Muqqadima. Mais peut-on citer ici tous les noms de héros qui ont, peu ou prou forgé l'histoire de ce pays que les annales nationales n'ont pas pris en charge? Aussi, faire remonter l'Histoire de l'Algérie au seul Emir Abdelkader, nonobstant la dimension politique et intellectuelle de l'homme, c'était en fait valider les allégations de la France et de tous ceux qui pensaient que l'Algérie était un pays en friche, sans peuple et sans Histoire. Plutôt que de s'élever en faux contre ces allégations, ce sont au contraire, des Algériens qui ont fait croire qu'avant 1830, au plan politique, rien n'aurait été produit par ce pays. Outre l'histoire amazighe de ce pays, encore très peu connue, l'Algérie a embrassé l'Islam, dès le premier siècle de l'Hégire.
Des Algériens ont, tout au long des siècles et de l'Histoire, participé à son expansion et à son développement.
Qui sont-ils? Quels livres les ont immortalisés ou leur furent consacrés? Quels manuels scolaires leur ont rendu justice?
Pourtant Ibn Toumert, Tarik Ibn Ziad, (qui donna son nom à la presqu'île espagnole de Djebel Tarek, Gibraltar) pour ne citer que ces deux personnalités, connues et reconnues mondialement, ont contribué efficacement à asseoir l'Islam dans les régions maghrébine et ibérique.
L'idée nationale
Ce sont des faits, parmi tant d'autres aussi importants, sinon minorés par l'éducateur, du moins jamais rétablis dans le contexte général de l'Histoire de l'Algérie.
La mémoire collective nationale est demeurée orpheline des faits d'armes et intellectuels de nos glorieux prédécesseurs. Cela pour dire que l'enseignement en Algérie, singulièrement celui de l'Histoire, de la sociologie, n'a pas su prendre en charge un aspect important de la formation de la personnalité de la jeunesse algérienne, peu au fait du passé historique de sa patrie, avec comme retombées récurrentes une crise identitaire qui mine les assises du pays. Peut-il en être autrement lorsque, depuis l'Indépendance, l'Algérie a eu aux commandes plus de Ben Bella que de Abane Ramdane?
(*) Il a encore renouvelé ses attaques contre l'Algérie, dans un entretien accordé au magazine français Jeune Afrique (du 8 au 14 mai).


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