L'Expression: On s'attendait à une pièce théâtrale classique, voilà que vous nous revenez avec un monologue d'un genre nouveau? Slimane Benaïssa: C'est surtout un long poème que j'appelle «mémorial poétique» c'est-à-dire pour raconter l'histoire de l'Algérie on ne peut pas écrire une prose simple. Le poème porte en lui une tragédie qui fonctionne bien avec le théâtre, comme j'ai fait l'expérience «Ana Djedi, moi mon grand-père» dans «Babor ghrek» j'ai senti ce qui fonctionne dans cette forme. C'est vrai que c'est une forme tout à fait spéciale, comme expérience théâtrale c'est du nouveau totalement, ça n'a jamais été risqué, j'ai pris ce risque parce que j'avais beaucoup de chose à dire. Je pense qu'on a trop caché les choses et maintenant il faut tout dire mais il faut juste trouver la manière pour vaincre ce silence. Je pense que les gens n'ont pas besoin d'autre chose au théâtre pour le moment et dans la conjoncture actuelle. Est-ce qu'on peut comprendre que le théâtrale classique ne fonctionne plus en cette période? Je raisonne très simplement...moi je me trouve devant une situation, je cherche et je réfléchis pour trouver la forme la plus adaptée pour ce que j'ai envie de dire. Moi j'ai senti depuis quatre ans que l'Algérie a envie de faire un bilan. Tout est stagné et pour faire démarrer les choses il faut un déclic. Deuxièmement, on est sorti de la période la plus dure du terrorisme, on a construit une paix rapidement, maintenant que cette paix est installée, il faut se mettre un peu à réfléchir à ce qu'on a vécu et enduré car on ne peut faire fi de ce qui nous est arrivé. L'idée d'écrire la trajectoire du peuple algérien a mûri petit à petit jusqu'à devenir une évidence même. Pourquoi avoir choisi Béjaïa pour le dire et marquer votre retour alors que la tradition des grands dramaturges a toujours été d'opter pour la capitale? Vous savez le théâtre se fait avec des personnes, ce ne sont pas les locaux qui font le théâtre. C'est une collectivité en marche. C'est la rencontre des hommes de théâtre avec les metteurs en scène, les techniciens,...etc, donc je savais qu'ici à Béjaïa je pouvais réussir mon travail, parce qu‘elle renferme un environnement théâtral sans égal en Algérie actuellement. Je dirais tout simplement qu'elle est la capitale du théâtre algérien car il est de notre ressort en tant qu'homme de théâtre de choisir notre capitale dans notre métier comme le font les politiciens pour les capitales politiques. Le texte, je l'ai commencé il ya de cela quatre ans. Je peux vous confier qu'on a réussi un travail monumental en une semaine de montage simplement. C'est un miracle de monter ce spectacle surtout avec toute sa fragilité en matière de texte. J'ai opté pour Béjaïa C'est grâce aussi à Omar Fetmouche, qui figure parmi les rares si ce n'est pas l'unique, je dirais même le seul Algérien à avoir le don et le génie de simplifier les choses, qui m'a mis dans d'excellentes conditions de travail ainsi que toute son équipe, d'une part. D'autre part, j'ai choisi cette région berbérophone de Kabylie pour lui imposer un discours en arabe, s'il le ressent, comme je l'ai bien constaté c'est que ça va marcher ailleurs. Pourquoi le titre «El Moudja Welat» et le spectacle en cette période marquée par le vent de révolte qui souffle sur le Monde arabe? C'est vrai...j'ai toujours agi selon ce que je ressens. Evidemment, je veux passer à autre chose. Ce monologue clôture un peu mes oeuvres théâtrales ici en Algérie et ailleurs en France notamment, et se veut aussi comme une résultante de toute oeuvres. J'ai tout le temps écrit en arabe surtout; au départ je voulais faire mille vers comme Ibnou Malek mais la difficulté de la tache m'a recentré sur ce que j'ai produit. Sinon, pour la conjoncture, il se trouve que ce qui vit le Monde arabe il y a une sorte de retour de la manivelle sur les dictateurs qui ont spolié tout. Moi, le retour de manivelle c'est le retour de la vague d'où le titre «El Moudja Welat», El Babor gherek wel moudja welat (le bateau a coulé et c'est le retour de la vague).