Il rentrera bientôt en Algérie, après un exil ayant duré plus de 10 ans. Il est connu pour des pièces de théâtre comme Babor ghraq (Le bateau a coulé), Boualem zid el goudam et autres. Le dramaturge, auteur et metteur en scène Slimane Benaïssa rentrera bientôt en Algérie, après un exil ayant duré plus de 10 ans. «L'exil qui fait partie de la nature des Algériens qui aiment voyager depuis la nuit des temps était une étape nécessaire dans mon parcours», a-t-il indiqué mercredi dernier lors de la conférence qu'il a animée au forum El Moudjahid. Ce géant du théâtre algérien est revenu, longuement et avec force détails, sur son parcours qu'il a, à vrai dire, commencé en 1965, après une licence en mathématiques. En 1967, il est membre de la direction de la première troupe de théâtre amateur à Alger, «Théâtre et Culture». Quelque temps plus tard, son talent dépasse la place d'Alger. La pièce Boualem zid el goudam, est jouée plus de 800 fois, en l'espace de quatorze ans. En 1969, Slimane Benaïssa adapte en arabe algérien (pour la première fois) la pièce La poudre d'intelligence de Kateb Yacine. Ce travail est poursuivi par la traduction de toute l'oeuvre de cet auteur, avec lequel il a notamment collaboré à la mise en forme en arabe de Mohamed prend ta valise (qui tournera en France en 1970 et 1971), Palestine trahie, Le roi de l'Ouest et La guerre de deux mille ans. D'autres pièces encore suivront. Cependant, le terrorisme intégriste qui avait déclaré une vraie guerre aux intellectuels, et hommes de culture en général, ne lui ont pas laissé le champ libre. En effet, Benaïssa quitte l'Algérie en 1993 après avoir reçu des lettres de menace le sommant d'abdiquer. Il part alors en France pour un atelier d'écriture. Là, il multiplie les créations. Dans le théâtre, il écrit et joue Le fils de l'amertume, en 1997. Cette pièce lui vaudra la renommée dont il peut se prévaloir aujourd'hui. Elle sera jouée à travers tout le territoire français et suisse. Plus récemment, il met en scène Prophète sans Dieu. Une pièce qui a aussi connu un remarquable succès populaire. Elle a été reprise à Paris et en tournée, et présentée au Festival d'Avignon en 2001. Aujourd'hui, mis à part son métier d'auteur, metteur en scène, acteur, M.Benaïssa est aussi membre du Haut Conseil de la francophonie et docteur Honoris Causa de l'Inalco-Sorbonne. En 1993, il est lauréat du prix Sacd (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) des auteurs francophones. En 2000, il est nommé membre du Haut Conseil de la francophonie par le président de la République française. Dans l'entretien qui suit, Slimane Benaïssa revient aussi bien sur ses projets que sur la situation du théâtre algérien. L'Expression: Alors vous êtes en visite... Slimane Benaïssa: Je viens en tant que citoyen algérien... pour voir ma mère, mes frères, mon pays. Je suis Algérien, il ne faut pas l'oublier. Je suis né ici, et c'est ici que je reviens, puis voilà... Et Babor ghraq (Le bateau a coulé) poursuit-il son naufrage? (Rires). Quelqu'un m'avait dit hier: «Toi tu as coulé un bateau, tandis que les autres, eux, ils ont en fait couler plusieurs.» Sinon, la pièce Babor ghraq, on va essayer de la reprendre pour un public qui la demande souvent. Comme j'ai également envie de reprendre tout mon répertoire qui est encore valable aujourd'hui en Algérie. Mais surtout proposer ce que j'ai fait là-bas en France. J'ai pas fait du théâtre d'exil, mais un théâtre algérien en France. Ceci est très important. Selon des rumeurs qui circulent, cette pièce, en l'occurrence Babor ghraq, a été représentée au Canada... Non, c'est la tirade de la pièce qui a été reprise sur Internet, c'est la fameuse tirade de Djedi (mon grand père), mais pas la pièce. Et concernant la littérature, vous continuez toujours de produire? Bien sûr. Déjà, tout dernièrement, je viens de sortir un roman intitulé Les colères du silence. Donc c'est mon quatrième livre après Les fils de l'amertume, Le silence de la falaise et La dernière nuit d'un damné. Cela dit, je n'ai pas abandonné le théâtre. D'ailleurs en septembre 2006, je viendrai présenter ma dernière oeuvre théâtrale, un monologue, intitulé Rabi chahed (Dieu m'est témoin), devant le public algérien. la représentation sera faite en arabe et en français. Et puis actuellement, je tourne dans une pièce intitulée Les confessions d'un musulman de mauvaise foi. Comptez-vous représenter cette pièce ici en Algérie? Enfin, j'espère. Parce que le théâtre, ce n'est pas du cinéma, où il suffit de ramener les bobines pour la projection. Le théâtre c'est toute une équipe, des accessoires, des décors...cela nécessite des déplacements d'autant plus que le matériel est très lourd. Mais moi, j'aimerais beaucoup que mon théâtre soit joué ici, même en français pour un public restreint. Je pourrai le traduire. Peut-on en savoir un peu plus? C'est un spectacle dans lequel je vais essayer de faire un tour d'horizon sur cette identité et dire aux gens la chose la plus simple: «Vous êtes partis, mais pour aller où?» C'est exactement cette question. Et je pense que ça fait du bien d'avoir de la distance parce que souvent les gens qui vivent ici ne voient pas les choses comme ceux qui observent la situation de l'extérieur. Ces derniers peuvent d'ailleurs apporter un regard qui va être instructif. Ceci d'une part. D'autre part, il me semble qu'ici en Algérie, il y a un vrai problème. Quand j'y suis revenu en 2003 après dix ans d'exil, et au premier abord, j'avais cette impression que tout a été déstructuré. L'Algérie est devenue un pays «organique», c'est-à-dire fabriqué de plus en plus et qu'il a perdu un peu de ce qui l'induit. C'est-à-dire de ce qui est sa réelle identité. En parlant du quatrième art en Algérie, on ne cesse de dire, et on le remarque aussi, que ce dernier vit une véritable crise. M.Benaïssa, en tant que l'un des pionniers du théâtre algérien post-indépendance, qu'en pensez-vous? Il y a deux situations où le théâtre est en difficulté. C'est quand la tragédie est dans la rue. Dans ce cas de figure, le théâtre ne peut plus l'exprimer. C'est ce qui nous est arrivé il y a dix ans, bien sûr il y a aussi le départ de ceux qui font cet art, et l'assassinat des autres. Aujourd'hui qu'on appelle à la paix, il faut tout d'abord éteindre les feux du conflit, donc là aussi ça met mal à l'aise le théâtre. Parce que le théâtre vit par le conflit, il se nourrit du conflit. C'est-à-dire, cet art exprime les conflits internes à une société et il essaie de les éclairer. Donc je crois, comme il y a dix ans, la difficulté est passagère. La société algérienne est trop occupée à se construire elle-même. Une fois construite, on verra quels sont les véritables problèmes qui apparaissent. Mais je pense qu'aujourd'hui on ne peut pas analyser les problèmes du théâtre en Algérie. Il faut attendre que les choses soient plus claires pour se pencher sur la question. La deuxième situation est l'absence de beaucoup d'auteurs qui ont de l'expérience. Certains ont disparu, d'autres ont été assassinés. Je crois que le théâtre algérien souffre énormément de ce côté-là, c'est-à-dire l'absence d'une écriture réelle. Ce sont des exemples tout à fait objectifs. Cependant, au-delà de ces raisons, il y a aussi une raison situationnelle, c'est-à-dire celle inhérente à la situation générale du pays. Ca a beaucoup influé sur le théâtre. Je vous cite un tout petit exemple. Même vivant en France, je suis quand même la télévision nationale, et je vois ce qu'on nous propose. A travers ces images, on remarque un changement social radical. Aujourd'hui, le personnage de l'affairiste est devenu un véritable personnage de la télé ; les magouilles entre les uns et les autres, c'est vraiment inquiétant. On ne peut pas dire que ce n'est pas la réalité. Mais toutes les réalités ne correspondent pas au devenir d'un pays. Aujourd'hui, je pense qu'il faut restaurer l'image du père. C'est une référence importante... Ne pensez-vous pas qu'en ce sens, le passage de l'Algérie d'une économie planifiée et dirigée à une économie de marché a chamboulé toute la donne? Cela à mesure que les liens sociaux commencent petit à petit à se délier... Oui, ça aussi est une part de vérité. Cette donne a fait que tout a bougé. Et lorsque tout bouge en même temps, on ne sait plus par où commencer. C'est comme cette histoire de la poule et de l'oeuf, on ne sait plus qui est à l'origine de quoi. Comment vivez-vous votre exil? L'idée de l'exil change chaque année. On évolue avec cette idée, c'est-à-dire ce n'est pas une relation constante, elle est quelque chose de véritable. En somme l'exil c'est des étapes, on passe d'une phase à une autre. Donc, il n'y a que ce qu'on peut en tirer qui est l'essentiel et qu'on doit prendre en compte. ...et vous êtes à quelle étape? Celle de ne pas m'éterniser là-bas... Donc vous comptez revenir vous installer ici en Algérie? ...sinon je ne serais pas un exilé, je serais un type installé. (Rires) .