Pourquoi les milliers d'Algériens lâchement massacrés au cours des événements de mai 1945 gardent-ils toujours le statut de «portés disparus» aussi bien dans les registres de l'état civil de la France coloniale que dans ceux de l'Algérie indépendante? Pourquoi l'Algérie officielle n'a pas encore osé demander à la France l'ouverture des archives de la Guerre d'Algérie? Comment peut-on expliquer le silence de l'Etat algérien concernant la loi du 23 février 2005 glorifiant le colonialisme français en Algérie? Ce sont autant de questions qui ont été soulevées lors d'une conférence-débat animée hier, par des chercheurs et historiens algériens au siège du Centre de recherche stratégique et sécuritaire (Crss). Ouvrant les débats, Makhlouf Aouli, membre fondateur de la Fondation de 8 Mai 45, a jeté un pavé dans la mare, en reprenant un proverbe d'Afrique sub-saharienne remettant en question l'objectivité de celui qui relate les faits. «Aussi longtemps que les lions n'auront pas leurs historiens, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur», a-t-il soutenu, en accusant la France de qualifier son colonialisme de positif et d'acte civilisationnel. M.Aouli a déploré le fait que des milliers d'Algériens, sortis pour célébrer pacifiquement la victoire des Alliés, ont été lâchement massacrés par la France coloniale sans que ces actes ne soient criminalisés 66 ans après. Pourtant, a-t-il souligné, les événements du Mai 45 s'inscrivaient dans le sillage de la lutte du peuple algérien pour le recouvrement de son indépendance. Dans ce contexte, Makhlouf Aouli a regretté amplement le fait que des milliers d'Algériens aient été sauvagement tués par l'armée française sans pour autant voir ces derniers inscrits dans le registre des martyrs. Ils ont eu droit, ironie de l'Histoire, a-t-il fait remarquer, au sinistre statut de «portés disparus». Plus grave encore, il s'est interrogé sur les visées inavouées du silence de l'Algérie devant les vagues de propos des officiels français, portant atteinte à la mémoire de nos martyrs. Et de renchérir: «Pourquoi il n'y a pas eu une réponse officielle de l'Algérie aux Français, qui voulaient positiver l'acte colonial, dans le cadre de loi du 23 février 2005?» Dans le même contexte, Ammerani Nordine, ex-haut officier de l'armée algérienne, a appelé à introduire la question de l'Histoire de la guerre de l'Algérie dans les prochaines rencontres du Cnes portant sur la tenue des états généraux de la société civile. Selon lui, une telle initiative pourrait redonner à la réécriture de l'Histoire la place qui lui sied. De son côté, l'ex-général major, Slimane Medjahed, a fait savoir qu'il est temps pour l'Etat algérien d'ouvrir des forums, d'organiser des débats pour débattre des question de l'histoire de l'Algérie. Ainsi, il a indiqué que les questions d'histoire demeurant encore entourées de zones d'ombre doivent être clarifiées et laisser cette tâche à qui de droit. «La culture du nationalisme est fragile telle qu'elle est enseignée ou revendiquée. Il y a un immense manque de repères pour les générations, en matière d'histoire. Beaucoup de questions demeurent pour eux sans réponses», a-t-il tonné, estimant que les Algériennes et les Algériens doivent connaître leur histoire, bonne ou mauvaise. Cet avis est aussi partagé par le directeur du Crss, le Pr M'hend Berkouk, qui a soutenu, en connaissance de cause que «l'Université algérienne n'enseigne pas la culture du nationalisme. Mais elle enseigne et transmet plutôt la culture de l'antinationalisme». Encadrant quelque 1200 étudiants en sciences politiques, le Pr M'hend Berkouk a relevé que des enseignants et encadreurs universitaires sont confrontés à des difficultés énormes en matière d'histoire. Selon lui, «l'histoire de la Guerre d'Algérie et d'avant la guerre doit être connue de tout le monde et défendue par tout le monde. Il faut la rendre claire et l'enseigner sans qu'elle soit soumise à des intentions politiques et politiciennes». C'est une histoire pourtant sacrée, connue et reconnue, a-t-il assuré, de par le monde.