«On se retrouve au même point qu'à la veille de la catastrophe de Chlef et seul un événement sismique peut prouver la fiabilité des constructions érigées depuis 2003.» Le séisme du 21 mai 2003. ayant ravagé la région d'Alger, particulièrement la ville de Boumerdès et les localités environnantes, n'a pas «secoué» les pouvoirs publics pour adopter une stratégie à même de réduire le risque sismique. Uniquement au niveau de la wilaya de Boumerdès, plus de 95 243 logements et 890 édifices publics ont été touchés, les dégâts ont été estimés à 5 milliards de dollars. Jusqu'ici, on s'est contenté, selon les experts, d'apporter des correctifs superficiels aux règles parasismiques déjà archaïques et contestées par les spécialistes les plus avertis. Parmi eux Abdelkrim Chelghoum, professeur en numérique et génie parasismique également directeur de recherche (Usthb) et président Gpds (laboratoire Génie parasismique, dynamique et sismologie) ainsi que président du Club des risques majeurs et consultant principal Gaim Ltd Derbyshire (GB). Il n'a pas manqué, à travers un entretien accordé à L'Expression de tirer la sonnette d'alarme quant au risque sismique qui peut frapper à n'importe quel moment les grandes métropoles algériennes. L'Expression: Plusieurs années après le séisme du 21 mai 2003, peut-on dire que l'Algérie a tiré les enseignements qu'il faut de ce cataclysme? Abdelkrim Chelghoum: C'est une question à la fois pertinente et légitime de votre part étant donné qu'elle pose la problématique du comportement dynamique du bâti sous l'effet d'une probable agression sismique, future, sévère et surtout celle relative à la sécurité des biens et des personnes. Malheureusement, si je m'amuse à faire une rétrospective des différentes étapes de réduction du risque sismique entreprises par les décideurs sur les plans technique, scientifique, législatif et politique et ce, depuis l'avènement du séisme de Boumerdès, je peux conclure, à 99%, qu'aucun enseignement sérieux et responsable n'a été tiré comme je l'ai déjà mentionné auparavant. Nous sommes pratiquement au même point qu'à la veille de la catastrophe de Chlef (10 octobre 1980); sinon pire, du moment que les enjeux sont devenus énormes face à l'omniprésence du même aléa et donc le risque sismique encouru dans toutes les grandes villes est maintenant multiplié par dix. Depuis ce sévère tremblement de terre ayant occasionné près de 3000 victimes et 15.000 sans-abri, est-ce que les nouvelles habitations situées en zones à risque sismique, à Alger en particulier et le nord du pays en général, ont été construites selon les normes antisismiques? Comme vous le savez, tous les professionnels ont très mal vécu ce douloureux événement surtout quand il s'agit de la perte cruelle et soudaine de confrères et personnes amies. En ce qui concerne ce point particulier, il est clair qu'une réglementation technique fiable et dûment validée représente le véritable soubassement à toute politique de prévention. Ceci n'est pas le cas en Algérie. D'abord, il faut dire que les soi-disant règles parasismiques algériennes ne sont qu'une compilation de certains textes étrangers sans relation avec la réalité du terrain ni l'aléa sismique régional. Par ailleurs, il a été clairement prouvé par les expertises du bâti effondré lors du séisme du 21 mai 2003 que ces règles sont loin de prédire le comportement réel des ouvrages sous excitation sismique. Elles sont par conséquent, fondamentalement superficielles et très vagues quand il s'agit de structures spéciales ou de la modélisation des sols en place. A-t-on vraiment apporté les correctifs adéquats aux réglementations et lois de la construction d'habitat? Je ne pense pas. Je vous demande sans que vous ne soyez expert en la matière d'observer le nouveau modèle de construction en vogue «décrété parasismique par la puissance publique» à savoir, des bâtiments traditionnels avec injection de bouts de voiles par ci par là. Ceci mérite un grand prix Nobel. Il est regrettable de constater qu'après chaque catastrophe, les pouvoirs publics tentent de proposer des correctifs dans la précipitation sur le premier texte de base (RPA 81), texte très controversé (archaïque et bricolé) en occultant totalement les fondamentaux d'un véritable concept parasismique. Il faut bien le dire, ceci n'apporte malheureusement rien de positif aux mesures de protection des ouvrages. Sachant que l'Algérie a déjà été frappée par de nombreux séismes destructeurs, est-ce qu'une nouvelle catastrophe de la même ampleur ou plus, serait à craindre à Alger ou le centre du pays? Comme vous le savez, les séismes sont des phénomènes récurrents, imprévisibles, imprédictibles mais malheureusement non négociables. Par ailleurs, on sait que l'agglomération d'Alger a été ébranlée par des séismes destructeurs dans le passé (3/01/1365, 10/03/1673, 3/02/1716) cela a, par ailleurs, été très bien documenté par le Pr Nicholas Ambrayses. Il serait naïf de croire que cette récurrence ne se produira pas à court ou moyen terme. C'est dans ce contexte que j'avais participé lors des journées consacrées à la défense civile au Conseil de la nation en février 2006 en proposant un scénario catastrophe crédible et très probable pour la métropole d'Alger qui aurait pu servir comme outil de base à toute stratégie de prévention aux décideurs dans ce pays. Que préconisez-vous pour parer au risque sismique en Algérie? Le risque sismique est par définition la conjonction entre des enjeux et un ou plusieurs aléas. Pour parer à ce risque, il faut mettre en place des mesures de prévention et de protection fiables. Pour cela, il est urgent de constituer une commission regroupant tous les experts ayant une expérience établie et reconnue dans le domaine de l'acte de bâtir touchant tous les aspects d'étude, de réalisation de suivi, de contrôle et de recherche afin de revoir toutes les règles de la construction en général et redéfinir les fondamentaux relatifs à l'aléa ainsi qu'aux méthodologies de conception et de calcul. En Algérie, beaucoup de choses dans le domaine de la prévention, suite à l'expertise du bâti effondré lors du séisme du 21mai 2003, auraient pu être réalisées le lendemain de la catastrophe; malgré nos multiples interventions, les pouvoirs publics ont décidé d'opter pour la politique du statu quo et du laisser-faire et ce, au mépris des principes élémentaires de la prévention. Il est triste de dire qu'à l'heure actuelle, seul un événement peut prouver la fiabilité des constructions érigées par la puissance publique depuis le 21mai 2003 (ce qui est communément dénommé le séisme contrôleur après-coup).