«Notre Claudine nationale» c'est ainsi que l'ont surnommée les intervenants, lors du colloque organisé en son honneur à Alger. «Je suis son étudiant depuis 56 ans. Claudine (Pr Chaulet) m'a appris la parité dans le ménage. Cette notion est essentielle dans la construction de la citoyenneté». Ce témoignage du Pr Pierre Chaulet, figure de proue de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie, renseigne sur la grandeur de son épouse, le Pr Claudine Chaulet, sociologue et militante de la cause nationale. Sociologues, historiens, chercheurs, acteurs de premier ordre du mouvement national et étudiants étaient venus, jeudi, rendre hommage au Pr Claudine Chaulet, l'un des pionniers de l'Université algérienne. Ils se sont fixé rendez-vous au Centre de recherche sur l'information scientifique et technique (Cerist), sis à Ben Aknoun, sur les hauteurs d'Alger. Cet hommage a donné lieu à un colloque international sous le thème «Claudine Chaulet et la conquête de la citoyenneté». Encore une fois, «notre Claudine nationale» comme l'ont baptisée les animateurs de ce colloque, a fédéré l'élite de l'Algérie autour de la construction de la citoyenneté et de la nationalité algériennes. Parmi les présents figuraient les éminents historiens, le Pr Mohamed Harbi, le Dr Daho Djerbal et le Dr Abdelmadjid Merdaci. Ce monument de l'histoire nationale a, également, ramené les anciens frères et soeurs d'armes à leurs souvenirs de jeunesse, marquée par le combat pour l'indépendance de l'Algérie. Etaient présents, l'ancien secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri et les anciens militants du mouvement nationaliste et combattants de la lutte armée, le commandant Azzeddine, Mohamed Méchati, et Louisette Ighilahriz. Les sociologues, pour leur part, n'ont pas manqué à l'appel. Il y avait, entre autres, Fatma Oussedik, Chérifa Hadjij, Chérif Benguergoura, Nadji Safir et Tayeb Kennouche. Quel enseignement tire cette fine fleur de chercheurs algériens de l'enseignement du Pr Claudine Chaulet? «Elle m'a appris à regarder l'Algérie à travers les paysans et leur stratégie de vie. Elle m'enseigné à appréhender la citoyenneté à partir du rapport de ses paysans avec la terre», témoigne le Dr Fatma Ousseddik, une des étudiantes du Pr Chaulet, dans son intervention intitulée: «Les structures familiales, lieux de la résistance des acteurs sociaux». La question de la définition de la citoyenneté algérienne s'est posée avec acuité lors de ce colloque. «Ce que l'intellectuel algérien doit à l'Algérie, nous l'avons appris grâce au Pr Claudine Chaulet», a reconnu le Dr Abdelmadjid Merdaci (qui n'a pas pu retenir ses larmes), dans sa contribution sous le thème: Claudine Chaulet, un irrédentisme algérien. Les travaux du Pr Chaulet dans la Mitidja, durant les années 1970, restent un modèle de l'authenticité de l'intellectuel dans sa démarche scientifique. A l'époque où la révolution agraire faisait miroiter monts et merveilles aux jeunes chercheurs algériens, le Pr Chaulet s'est attelée à leur inculquer la nécessité d'analyser le réel. «Nous avons été les premiers témoins de ce dérapage (la révolution agraire) où le paysan s'est vu nié et renié», rappelle le Dr Tayeb Kennouche, dont l'intervention intitulée: «Il était une fois Thaoura ezziraia» la révolution agraire, montre la justesse de l'analyse de Claudine Chaulet dont les conclusions démontraient les limites de cette politique. Le rapport entre la citoyenneté et la nationalité a été abordé par le Dr Daho Djerbal. Il a inscrit cette problématique dans le cycle de son évolution historique récente. D'emblée, il a dénoncé «l'ostracisme et l'exclusion dont sont victimes les Algériens d'origine européenne». A ce titre, il cite le cas du fils unique des Chaulet: «Il a été confronté à la difficulté d'obtenir sa citoyenneté, lors de son mariage» avec une citoyenne algérienne. Cette difficulté ramène, selon l'historien, à l'ambiguïté dans la définition de la citoyenneté, contenue dans le Code de la nationalité. Ce texte de loi stipule que pour avoir la nationalité algérienne, il faut certifier que son grand-père est algérien. «Cela pose la question du statut des Européens d'Algérie. Qui est Algérien et qui ne l'est pas» s'interroge Daho Djerbal. «Pour construire une nation, il faut déconstruire la pensée nationaliste», préconise, pour sa part, le Pr Mohamed Harbi, évoquant «le congrès de la Fntt (Fédération nationale des travailleurs de la terre)». Sur ce plan, le témoignage du Pr Pierre Chaulet est édifiant: «J'ai deux petites-filles, blondes aux yeux bleus. Elle ont sollicité la nationalité algérienne. On leur a demandé l'acte de naissance de leur grand-père. Je leur ai fourni le document. Elles ont eu le certificat de manière automatique». Et de conclure: «La construction de la citoyenneté repose sur le respect des libertés individuelle et la parité entre hommes et femmes. Tant que cette parité n'est pas établie dans les ménages algériens, on ne peut prétendre à la construction de la citoyenneté». Qui est le Pr Claudine Chaulet? Claudine Guillot est née à Longeau, en France, de parents fonctionnaires. Son enfance est marquée par la montée du nazisme et le déclenchement de la seconde Guerre mondiale. Elle arrive en Algérie, en janvier 1942. elle effectue, ensuite, des va-et-vient entre l'Algérie et la France, dans le cadre de ses études. En 1954, lors d'un bref séjour à Alger, elle rencontre Pierre Chaulet, Pierre Roche et des nationalistes algériens, en l'occurrence Abdelhamid Mehri et Salah Louanchi. Et c'est le début d'une longue histoire d'Amour... avec l'Algérie. Elle se marie avec Pierre Chaulet en septembre 1955. Leur maison, à Alger, devient alors le refuge des dirigeants du FLN dont Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi et Benyoucef Benkhedda. C'est elle qui fera sortir Abane Ramdane d'Alger en février 1957. Au volant de sa 2CV, elle traverse la ville quadrillée par les parachutistes. Elle réussit à déjouer la vigilance des barrières. A ce moment, son mari Pierre est emmené par les éléments de la DST. Après l'indépendance, «notre Claudine nationale» participe à l'édification de l'Université algérienne.avec la formation de centaines d'étudiants. Ils ont dit... Le Pr Pierre Chaulet: «Les intellectuels ne sont pas absents» «On a souvent reproché aux intellectuels leur silence par rapport à ce qui se passe en Algérie. Cette rencontre prouve que cette accusation est gratuite: les intellectuels sont sur le terrain Elle montre, aussi, que beaucoup d'intellectuels, qui ont travaillé pour l'indépendance, continuent à servir l'Algérie dans l'ombre. Ce colloque a le mérite de recentrer le débat sur la définition de la citoyenneté. Cette même citoyenneté qui ne peut être conçue en dehors du respect des libertés individuelles, à commencer par celles des femmes.» Le Pr Claudine Chaulet: «Merci!» «Je remercie les organisateurs et animateurs de ce colloque. Je suis profondément touchée par cette marque de reconnaissance. Elle transcende, en fait, la question de la citoyenneté algérienne en recentrant le débat sur le statut des Algériens d'origine européenne. Pour ma part, je ne me sens pas dépaysée. Je suis parmi mes proches, mes amis et mes anciens étudiants. Les chercheurs et enseignants qu'ils sont devenus actuellement me permet d'être optimiste. Je ne suis pas inquiète pour l'Algérie.» Abdelhamid Mehri: «L'Algérie doit beaucoup au Pr Claudine Chaulet» Il m'est un honneur de participer à cette cérémonie d'hommage rendu au Pr Claudine Chaulet. L'Algérie lui doit beaucoup. Personnellement, je l'ai connue au début des années 1950, lors d'un bref séjour qu'elle a effectué à Alger. Les Chaulet (Claudine et Pierre) ont grandement contribué dans la lutte de libération nationale. Aussi, ils ont participé activement dans la formation de l'élite algérienne. Cet hommage est une juste reconnaissance de ce que Claudine à apporté à notre pays».