Ce qui se passe en Côte d´Ivoire outre d´être inédit, défie tout entendement en matière de politique et de rapport avec le pouvoir. En fait, la manière avec laquelle le Conseil constitutionnel ivoirien a proclamé les résultats de la consultation électorale présidentielle et l´intronisation, «ipso facto», de Laurent Gbagbo à la tête de l´Etat, remet en cause les fondements du droit et le fonctionnement de l´Etat. Certes, cela devient lassant de dire que c´est seulement en Afrique que l´on voit ce genre de choses et de comportements, mais il faut bien dire que ces conduites sont rédhibitoires dans un monde qui n´accepte plus la prise (ou le maintien) de (au) pouvoir par la force. Or, Laurent Gbagbo, président sortant, a tout fait, depuis 2005, pour maintenir le statu quo et sa mainmise sur la présidence ivoirienne, allant jusqu´à annuler à six reprises l´organisation du scrutin présidentiel. De fait, le président Gbagbo a pratiqué, dès son avènement à la tête de l´Etat en 2000, la politique de la terre brûlée mettant le peuple ivoirien devant l´équation: «Moi ou le chaos!». Sans préjuger de la suite que vont prendre les événements en Côte d´Ivoire, plus que jamais divisée entre le Sud «pro-Gbagbo» et le Nord qui a plébiscité Ouattara, un fait est patent: la situation est très grave. Elle ne fera que s´envenimer, dans les jours et semaines à venir, si une solution n´est pas rapidement apportée à un imbroglio qui met en péril l´unité de la Côte d´Ivoire. L´impasse et la crise de pouvoir sont essentiellement dues à l´appétit insatiable de Laurent Gbagbo qui s´est accaparé une gouvernance illégitime - compte tenu de la manière controversée avec laquelle il est parvenu au faîte de l´Etat en 2000 - éliminant de la course à la présidence le président sortant de l´époque, Henri Konan Bédié, et le Premier ministre d´alors, Alassane Ouattara, celui-là même qui l´a vaincu dimanche dans les règles de l´art remportant largement un scrutin qui s´est déroulé dans des conditions démocratiques, comme consigné par les observateurs internationaux. Battu loyalement, Laurent Gbogbo, plutôt que de reconnaître sa défaite, et donner à la Côte d´Ivoire de retrouver une paix perdue, a préféré s´accrocher au pouvoir mettant à son service les institutions de l´Etat. En instaurant le couvre-feu durant la semaine de déroulement du scrutin, en ordonnant ensuite à la télévision d´Etat (RTI) de quitter le siège de la commission électorale indépendante (CEI), en empêchant celle-ci d´annoncer (mardi) les résultats provisoires, enfin en actionnant le Conseil constitutionnel, dirigé par un de ses proches, qui l´a proclamé vainqueur, M.Gbagbo s´est ainsi voulu juge et partie, faisant annuler, au passage, les résultats de la CEI qui donnaient M.Ouattara largement élu. De fait, le secrétaire général de l´ONU, Ban Ki-moon, le président américain, Barack Obama, la chef de la diplomatie de l´UE, Catherine Ashton, ont, tour à tour, reconnu dans la nuit de vendredi à samedi, l´élection d´Alassane Ouattara à la présidence de la Côte d´Ivoire. Il est évident qu´il y a en Côte d´Ivoire un président de trop, et l´un d´eux doit s´effacer. Laurent Gbagbo, déjà mal élu en 2000, qui s´est imposé depuis 2005 au peuple ivoirien, sans passer par les urnes, assume pleinement la grave dérive dans laquelle il a engagé son pays. Mais de là à s´imposer au peuple au risque de faire éclater le pays, voilà une responsabilité que l´histoire ne manquera pas de juger. L´amour du pouvoir, peut-il conduire à cet aveuglement jusqu´à faire fi du minimum de conscience envers son peuple et son pays? Au peuple ivoirien qui lui a signifié la fin de non-recevoir et de la magistrature, Gbagbo, plutôt que de partir dignement, a choisi de s´imposer par la force quitte à réveiller les démons de la guerre civile. Faut-il s´en étonner dans une Afrique malade de ses présidents au «long cours» et dictateurs qui lui ont fait tant de mal?