Des mots pour dénoncer le laxisme et dire les maux qui rongent notre patrimoine national. Ce n'est pas un hasard si cet artiste a décidé aujourd'hui d'exposer ses toiles à la citadelle d'Alger connue communément sous le nom du Palais du Dey, un lieu historiquement et politiquement stratégique pour avoir été le siège du pouvoir en 1830, un lieu autrement symbolique pour avoir été le témoin notamment du «coup d'éventail». Classée monument historique dès 1887, une partie de la citadelle (Palais du Dey, mosquée du Dey, Poudrière) fut aménagée en un musée colonial militaire en 1930. A l'indépendance de l'Algérie en 1962 tout ce qui contenait ce musée fut pris par la France. Depuis, quelques travaux de restauration ont été entrepris afin de remettre à neuf ce palais culturel inestimable, ce bijou qui trône au milieu de la capitale. En vain... La citadelle d'Alger est loin de retrouver son lustre d'antan. Aussi, pour tirer la sonnette d'alarme sur l'état de précarité dans laquelle elle se trouve, un point de presse s'est tenu en son sein même, mardi dernier, en présence de Menouar Mounir, l'architecte chargé de mener les travaux de restauration de ce monument et de quelques plasticiens, notamment Arezki Larbi, Salah Hioun, Mohamed Massen, Mme Zohra Hachid Sellal. Après un court aperçu historique soutenu par une présentation générale de la pitoyable situation actuelle, M.Menouar, le conférencier, nous fera un bilan chiffré de l'état d'avancement des travaux. «Cela fait plus de 13 ans que les travaux de restauration ont commencé. Le coût global pour ce faire est estimé à 2 milliards de dinars. Nous avons consommé 10 millions. On est arrivé uniquement au stade de la consolidation. Tout ce qui relève de l'esthétique n'a pas été entamé. Nous sommes arrivés à 10% seulement du degré d'avancement des travaux». La raison de ce retard flagrant est due à la non-viabilité de nos entreprises nationales et à leur incompétence à venir au bout du projet avance-t-on. Faut-il alors faire appel aux étrangers, aux entreprises internationales pour préserver notre patrimoine national? s'interroge-t-on, estomaqué et ébahi par un tel constat affligeant. D'autant que l'Algérie ne possède pas d'écoles de formation en ce sens. Le ministère de la Culture revient aussi au coeur du débat. D'aucuns s'accordent à dénoncer son laxisme. Comment peut-on expliquer, en effet, l'éternel abandon dans lequel sont jetés nos bâtisses, nos anciennes villas coloniales et autres monuments historiques...Tombés en décrépitude, ils font souvent l'objet de pillage sans précédent quand ils ne sont pas sujets à détérioration tous azimuts. «Nous travaillons ici pendant des années, confie cette conservatrice de la citadelle. Le palais a été visité par de nombreux touristes et diplomates du monde entier. Le potentiel humain existe, nous demandons une enveloppe budgétaire pour pouvoir restaurer ce patrimoine», dit-elle excédée. Les voix s'élèvent et les prises de position tombent dans la cacophonie car, de plus en plus passionnées, chacun allant de son idée et de ses suggestions. Mais le plus urgent, hélas, aujourd'hui, n'est plus à qui sait mieux exposer le problème, dans la clarté, ou dans la profondeur de la chose mais dans la nécessité de passer à l'acte. Faudrait-il encore maîtriser la technique et le savoir-faire pour retaper cette citadelle qui tombe en déliquescence. «Vu la cadence des travaux et la manière dont elle est prise en charge, on ne pourra pas terminer les travaux dans les délais conformément aux normes», souligne avec dépit, M.Menouar, désabusé. Le coeur gros, l'architecte sort de ses gonds et lâche: «C'est un scandale que depuis l'indépendance on n'a pas pu sauver le symbole de l'Etat algérien!» Aussi, c'est à juste titre, si Mustapha Nedjaï a intitulé son exposition dont le vernissage aura lieu aujourd'hui: Mots et maux. C'est pour dénoncer justement le non-sens des mots. Ces derniers, à force d'être rabâchés à tort et à travers deviennent creux, ne servent plus à rien, perdent en somme de leur valeur. Dire, parler est un acte machinal dont la mécanique s'use forcément, du moment qu'on en abuse. De ce fait, à cet instant, plus rien ne va...«De nos jours, tout le monde parle au nom de quelque chose, de la religion, de la tradition, de la culture, du modernisme. On est en plein archaïsme. Les discours sont nombreux mais vides. Tout le monde utilise les mêmes mots. Ils se travestissent aujourd'hui ; la conviction, l'émotion qu'ils sont censés véhiculer n'y sont plus», déclare Mustapha Nedjaï. Le livre, cet ouvrage écrit que l'on feuillette pour s'instruire ou simplement pour se détendre ou se divertir se trouve être le centre d'attraction de cette exposition. Sublimé ou au contraire avili, mésestimé, il est partout décoré, rehaussé de couleurs chatoyantes, ou dénigré, réduit à un «paquetage» de feuilles gribouillées. Pour certains, le livre est source d'enrichissement et de savoir. Pour d'autres, une menace qui dérange...les mots qu'il contient peuvent aider comme ils peuvent desservir. Les causes que les gens soutiennent, bonnes ou mauvaises, justes ou injustes, s'illustrent par les mots qui, dans bien des cas, sont à l'origine des maux que nous subissons, endurons au quotidien ou encore depuis des décennies. Une décision peut être lourde de conséquence. Le livre donc, ou ce qu'il charrie, cher à notre artiste-peintre, est clairement discernable ou mis en exergue à travers la soixantaine de tableaux exposés. L'on peut également apprécier dans cette charmante galerie nouvellement installée dans cette citadelle, une dizaine de sculptures et deux installations évoquant la symbolique du couteau et la plume. «La plume pour les mots et les couteaux pour les maux», précise Mustapha Nedjaï. La consommation est également dévoilée en filigrane dans d'autres tableaux et traduite par ces cuillères et fourchettes. «De nos jours, on avale autant d'images que de mots», dit l'artiste. Dans ses oeuvres d'art, Mustapha a utilisé la technique mixte (le collage) pour traduire sa vision du monde. Sur ses papiers journaux, qui occupent l'espace des tableaux et enduits de peinture (avec une dominante de bleu, rouge, jaune et blanc) sont inscrites des phrases poétiques qui incitent à la réflexion «les mots d'hier sont les maux d'aujourd'hui, une pensée stérile qui fait trébucher les maux dans une perpétuelle explosion de contradictions et de pléonasmes», écrit Mustapha Nedjaï. A méditer.