Si les détenus ont déjà fait le procès de la justice algérienne, il reste qu'une détention pose, en aval et en amont, le problème de la structuration de la société civile et implique presque tous les secteurs. «Ô Dieu! préservez-moi, préservez mes amis et mes pires ennemis, de ne jamais mettre les pieds dans une prison». C'est ainsi que s'est exprimé un confrère, poète à ses heures, inspiré par Victor Hugo en sortant de la maison de prévention de Koléa. Pendant une journée harassante de portes ouvertes sur les prisons organisée par le ministre chargé de la Réforme pénitentiaire, Abdelkader Sallat, notre poète a été servi à satiété en matière de muse. Des visages, pour la majorité de jeunes, scrutent les intrus que nous fûmes, comme pour humer les quelques instants de liberté éphémère que nous leur avons apportés pour la circonstance. Les muscles faciaux s'agitent et s'efforcent dans l'espoir vain d'esquisser un sourire muselé par le dépit et le regret très perceptibles, ou peut-être c'est tout simplement une habitude perdue dans ces maisons de détention, de prévention, de rééducation...Appelons-les ainsi en attendant de trouver un terme plus approprié. «Pourtant, à chacun de ces détenus correspond une victime à l'extérieur», s'est ravisé le journaliste. Tout au long de ce bain de foule particulier, le ministre chargé de la Réforme pénitentiaire, invite les journalistes à constater et à décrire le plus objectivement possible la situation. «Nous n'avons rien à cacher», clame-t-il à chaque fois en soulignant qu'il n'a constaté ni dérive ni dérapage significatifs. Durant les trois haltes effectuées : Boufarik, Blida et Koléa, les conditions étaient, à quelques différences près, les mêmes; elles ne sont pas très reluisantes vu les surcharges dont souffrent ces «maisons» déclassées ne répondant ni aux conditions d'incarcération et encore moins aux commodités des tissus urbains où elles sont implantées. Mais à entendre les détenus, on comprend que cette situation ne les affecte pas autant que les mesures judiciaires dont ils sont «victimes». Certains dénoncent la lenteur des procédures, s'inquiétant de la longue détention préventive alors que d'autres crient tout simplement à leur innocence, comme tout prisonnier qui se respecte. Du coup c'est le procès de toute la justice algérienne qui est fait dans ces maisons d'arrêt. Elle a été condamnée sans appel, à une lourde peine. Il serait naïf, voire débile, de prendre les paroles de prisonniers pour argent content, pourtant elles renferment une part de vérité. Le chantier de la réforme de la justice et l'existence d'un ministère chargé de la réforme pénitentiaire, traduisent, à eux seuls et de façon plus explicite, la revendication de ces détenus exprimée de façon brute. Abdelkader Sallat, a commencé son périple pénitentiaire par l'établissement de prévention de Boufarik. La première salle visitée donne l'impression d'un chalet de caserne de par sa propreté et la disposition des couvertures d'un bleu foncé, soigneusement pliées sur les lits superposés. Tout indique que cet ordre a été le fait de la visite du ministre, sans pour autant cacher l'atmosphère caractéristique d'une prison. Un graffiti au crayon à l'entrée de la salle rappelle à ceux qui risquent d'oublier qu'on est dans une prison: «quand ça va finir» sans interrogation. Dans la cour, les détenus très mal à l'aise dans leurs accoutrements, s'alignent à la façon des écoliers. La tête légèrement baissée et bien droit, juste pour inspirer sinon le respect du moins la sympathie des visiteurs qu'ils regardent furtivement. Il aurait suffi d'un simple soupir pour que le contact se fasse avec un jeune détenu, sans un mot, uniquement par la grâce de cette atmosphère. «Qu'as-tu-fait pour te retrouver ici?» avons-nous glissé à un détenu. «J'ai volé le sac d'une femme au marché de Boufarik. Il était vide et je l'ai restitué, on m'a condamné à une année de prison». «Qu'attends-tu- de cette visite?» Il réplique: «Comme tout prisonnier j'espère une grâce du Président, d'ailleurs, il a gracié ceux qui sont impliqués dans des affaires d'escroquerie et pourquoi pas nous». La prison de Boufarik a été inaugurée en 1896 pour une capacité maximale de 120 détenus. Elle en compte 196, dont deux mineurs, répartis dans six salles. «Il ne s'agit pas de faire des prisons algériennes des hôtels cinq étoiles, mais de préserver un minimum de dignité de la personne», déclare le ministre avant d'enchaîner: «Le prisonnier est privé de sa liberté, mais pas des conditions minimales de dignité», au milieu de 80 lits déposés à même le sol dans une salle destinée à en recevoir au maximum une quarantaine. A Boufarik les détenus lisent ou du moins on les incite à le faire. «Demandez la science fût-elle en...Chine» est-il rappelé sur une feuille accrochée à l'entrée de la salle. Une bibliothèque aussi exiguë que l'est l'établissement pour les détenus, exhibe quelques livres de lecture et d'histoire en arabe, complètement dépassés, d'un côté, de l'autre, Madame Bovary de Gustave Flaubert et Ramses de Christian Jacques semblent constituer des éléments de décor, faute de lecteurs portés sur ce genre de livres «d'un autre âge». Au niveau des chambres réservées aux gardiens, le ministre lâche le scoop. A vos plumes ! les journalistes gribouillent sur leurs calepins. Constatant les conditions d'hébergement des gardiens, pas très différentes de celles des détenus, Sallat déclare textuellement et à haute voix: «C'est scandaleux, c'est inadmissible, c'est de la crasse», puis il ajoute: «Je ne vois pas la différence entre les détenus et leurs gardiens. Il faut prendre des initiatives individuelles, pour nettoyer, pour changer ne serait-ce que les couvertures dont la couleur ne doit pas être identique à celle des détenus. C'est très important sur le plan psychologique». Ni satisfait ni déçu le ministre quitte l'établissement de prévention de Boufarik vers la maison de rééducation de Blida, après avoir réussi à focaliser les choses sur les conditions de travail des gardiens, par ailleurs aussi déplorables que celles des prisonniers. «Il faut aussi parler de nous (gardiens ndlr), du travail difficile que nous accomplissons loin de nos familles, l'absence des moyens de récupération, d'un salaire conséquent. Pour le logement c'est une autre histoire...».