«L'argent est le nerf de la guerre», cet adage prend tout son sens, quand il s'agit de parler de la toile financière qui couvre les activités des groupes armés dans le monde. Le nouveau décret signé, dimanche, par le président George W.Bush, permet le gel des avoirs de Ben Laden et interdit, toute transaction avec des groupes liés aux réseaux et les dons à des organisations à but non lucratif, soupçonnées de canaliser des fonds en leur faveur. Outre les groupes armés cités par Washington, tels El-Qaîda d'Afghanistan, le Djihad islamique égyptien, le GIA et le Gspc algériens ou l'armée islamique d'Aden du Yémen et le groupe Abou Sayyaf des Philippines, les Etats-Unis ont ciblé plusieurs organisations caritatives, soupçonnées de servir de caisse noire au terrorisme international. C'est le cas, notamment, de Mektab El Khadamet (liée à El-Qaîda), l'Organisation humanitaire Wafa, El Rachid Trust basée au Pakistan ou encore la compagnie d'import-export Mamoun Darkazanli. Les organisations caritatives profitent des déductions fiscales, de l'anonymat et surtout de la légitimité que procure le statut d'organisme de charité pour amasser de l'argent au sein de la communauté locale. Une partie de ces fonds servira, en fait, à financer des projets bien précis (construction d'écoles coraniques, de logements et surtout de lieux de culte ou des centres islamiques). Le reste - souvent la grande partie de la collecte - est détourné vers la lutte armée par le biais d'une succession de virements bancaires. En réalité, la collecte des fonds pour le soutien des groupes islamiques armés ne date pas d'aujourd'hui. Sa création remonte à l'époque des «foutouhate» (guerres Ndlr) arabes contre les Romains, les Perses et les Francs où les khalifes avaient appelé à la «zakat du djihad». Depuis, c'est une tradition, fortement respectée par les Al-Saoud, qui ont été les premiers à financer les mouvements révolutionnaires en Afghanistan contre l'occupant soviétique et ce, avec la bénédiction de la CIA, qui abattait ses dernières cartes dans la guerre froide qui opposait Washington à Moscou. La notion de «djihad» contre les forces communistes était considérée par les émirs du Golfe, alliés des Etats-Unis, comme «un devoir sacré», qu'il fallait absolument honorer. Devant l'impossibilité d'envoyer des hommes, l'Arabie Saoudite s'est proposée de financer les actions et d'alimenter les révolutionnaires afghans en armes et logistique. A l'époque, c'était le célèbre vendeur d'armes, un autre milliardaire saoudien Adnan Kashordji, qui servait d'intermédiaire entre la CIA et les révolutionnaires afghans. Certains affirment que c'est lui qui a présenté Oussama Ben Laden à l'agent de la Central intelligence agency, aujourd'hui, à la retraite pour l'achat des lance-missiles portables Stinger. Kashordji fut ensuite, écarté par le régime saoudien parce qu'il était soupçonné d'avoir participé à l'affaire Iran Gate, où les Américains, en pleine crise avec le régime de l'ayatollah Khomeyni, avaient conclu des ventes d'armes secrètes avec Téhéran, pour gagner la guerre contre l'Irak, considéré déjà comme une menace pour Israël et, par conséquent, pour les Etats-Unis. Les émirs saoudiens et koweïtiens, loin de se douter d'un retour de flamme des groupes islamiques radicaux, ont revu leur politique de soutien à l'extrémisme religieux, notamment, après la tentative de prise d'otages à La Mecque où plusieurs milliers de pèlerins ont péri dans la répression violente des forces spéciales royales, aux côtés d'une quarantaine de terroristes qui demandaient la libération des Lieux Saints du régime de la famille Al-Saoud. Depuis, les Saoudiens et leurs amis du Golfe avaient préféré soutenir financièrement les partis politiques islamistes, qui avaient comme objectif l'installation de régimes islamiques et d'une politique basée sur la chari'a, plutôt que les groupes armés. C'est ainsi que le parti dissous a bénéficié, lors de sa campagne politique 1990, d'un financement important qui lui a permis de jeter les bases de sa politique et de remporter haut la main les élections locales. Aujourd'hui, ce même financement profite aux partis politiques islamistes en Algérie, en Jordanie et même en Egypte sans pour autant favoriser l'action terroriste. Ce qui explique, les va-et-vient de Nahnah et de Djaballah dans la région du Golfe ces dernières années. Avec les attentats, contre le World Trade Center et le Pentagone, la question du financement des groupes armés, des partis islamistes ou même d'associations caritatives qui oeuvreraient pour la cause islamique est plus que posée pour certains régimes concernés. Les Etats-Unis, qui viennent de comprendre finalement le danger terroriste, entreprennent une guerre financière redoutable contre la filière caritative que les Canadiens avaient déjà entamée, il y a quelques mois, avec le fameux projet de loi C16. Une loi qui fut présentée par les libéraux et qui vise, essentiellement, à mettre un terme au financement des organisations terroristes à partir du Canada. Selon Ward Elock, directeur du Scrs (Service canadien du renseignement de sécurité) qui s'exprimait, devant un comité spécial du Sénat sur le renseignement et la sécurité: «La collecte de fonds est l'une des activités les plus répandues au Canada». Et d'expliquer que son pays aurait servi de point de transit pour recueillir 137 millions de dollars pour les mouvements islamiques en Algérie et ce, selon des recherches divulguées, lors d'une conférence internationale, sur le contre-terrorisme tenue en septembre 2000 à Mont-Blanc. Cette somme n'est qu'une infime partie du budget global amassé par les groupes islamiques algériens en Amérique, en Europe et surtout au Moyen-Orient. Le nouveau décret gelant les activités financières de mouvance islamiste proche des groupes armés, va, désormais, fermer les pompes à billet vert américain et aux devises française et britannique au projet d'une lutte tous azimuts contre le terrorisme international.