Le livre est par nature subversif puisqu'il est censé apporter du nouveau. Un régime qui surveille les imprimeries est donc nécessairement un régime de régression. Autrefois, les dictatures assumaient l'étouffement de leurs sujets et se légitimaient par l'efficacité politique de leur régime. À cet âge de l'humanité, on pouvait renoncer à la prétention démocratique. Mais aujourd'hui, l'état politique de la planète fait que la communauté mondiale déclasse parmi les nations les régimes autoritaires, de moins en moins nombreux. Des dictatures résiduelles parsèment donc encore la planète. Certains de ces régimes revendiquent, au prix de théâtrales marques de démocratie, le label qui donne droit, pour un pouvoir, au respect des pairs. L'oligarchie algérienne fait partie de ce reliquat d'autoritarisme et bénéficie, par son statut de bon client, de l'empressement de nos fournisseurs, qui, en réalité, n'en pensent pas moins. Nos marchés, si lucratifs, valent bien une attestation d'authenticité démocratique qui ne coûte que quelques mondanités diplomatiques à usage politique local. Au sommet de la francophonie à Québec, le Président a exposé à ses hôtes de l'OIF nos avancées nationales en matière de gouvernance et de droits de l'Homme. Le jour même, sa ministre de la Culture lançait la police sur un atelier où devait s'imprimer un livre-journal d'un journaliste-écrivain opposant. L'imprimatur contredit, de fait, l'emphase moderniste du discours. L'acte du régime peut démentir le discours. Le tout est que cela ne soit pas dit. Et encore moins écrit. Alors la ministre fondera son acte de censure sur de bonnes intentions, celles d'empêcher une œuvre d'“atteinte à l'honneur des personnes”, d'“outrage à magistrats”, d'“offense au président de la République”, de “banalisation des crimes coloniaux”, d'“antisémitisme” et d'éviter à Benchicou… de retourner en prison. Le décalage… culturel paraît d'emblée insurmontable : la ministre dresse l'exposé des motifs d'une censure là où c'est le principe de l'imprimatur qui est en cause. Entre une tutelle “culturelle” qui se convertit en “comité de lecture” inquisitoire et un ministre de la Communication qui nous renvoie “à des procédures réglementaires à un niveau local”, la censure s'impose comme une fin qu'il faut justifier par tous les moyens. Le fait d'“assumer” un abus de pouvoir constitue aujourd'hui, pour un responsable, un moyen de légitimer sa fonction dans l'ordre injuste et répressif. Au procès Khalifa, Sidi-Saïd a assumé d'avoir ordonné le dépôt des caisses sociales dans une banque aux pratiques peu orthodoxes ; Habib Chawki, “très satisfait” de sa gestion soviétique de l'ENTV, assumait plus que jamais sa télévision sectaire. En prenant ostensiblement sur eux des excès qu'ils commettent pour le compte d'un système par nature fondé sur l'arbitraire, ces responsables croient substituer à leur condition de pièces d'une mécanique de répression un statut de décideurs ; en même temps, ils font valoir leur fonction à risques de défense de l'ordre en place. Dans ce dérisoire combat d'arrière-garde, une chose rassure : quand la censure est élevée au rang de mode de gouvernance, c'est qu'il reste des îlots de santé politique dans la société. M. H. [email protected]