Les laissés-pour-compte ne décolèrent pas et menacent d'occuper à nouveau la rue. “Ce qui est désolant, c'est d'entendre le maire de Réghaïa dire à la télévision que sa localité est amplement satisfaite en tentes, en eau et en vivres”, s'insurge un sinistré. Un autre renchérit avec âpreté en affirmant avoir entendu à la radio, un responsable du ministère de la Solidarité soutenir que 1 200 repas sont distribués quotidiennement au lotissement Aïssat-Mustapha. “Où sont les repas et les tentes ? On vit dans les poubelles comme des chiens. Des convois humanitaires passent tous les jours par ici sans nous voir. Personne n'est venu s'enquérir de notre situation. Pour les autorités, on n'existe pas”, s'écrie-t-on de toutes parts. Sur cette bretelle de l'autoroute, à l'entrée de Réghaïa, passe en effet l'essentiel de l'aide humanitaire destinée aux sinistrés de l'effroyable séisme. Elle passe sous les yeux incrédules et anxieux d'autres sinistrés, des centaines, qui hantent, solitaires et abandonnés, les ruines de leurs maisons situées sur les flancs de la bretelle. Révoltés, les laissés-pour-compte n'ont trouvé d'autre moyen pour crier leur colère et leur désespoir, sinon occuper la fameuse bretelle. De 13 heures 30 à minuit dimanche, ils se sont érigés en barricades pour obliger les caravanes de solidarité à marquer un arrêt à leur niveau. Le commandant du secteur militaire est venu immédiatement. Il a pris à partie la foule en affirmant que “ceux qui ont coupé la route ne sont pas des hommes”, confie Ould El Bachir ulcéré. Errant dans les décombres, il dévoile sur chaque mur lézardé et dans chaque logis effrité les stigmates du drame, le malheureux hurle de douleur. Il fulmine. “Sont-ils des hommes eux, des humains ? Ils nous laissent mourir à huis clos sans se soucier de notre sort”, dénonce-t-il. Ould El Bachir est paysan. Jusqu'au mercredi maudit, il occupait avec sa famille une minuscule bicoque implantée dans une ferme, au nom de Bouraada, ex-Gaby. De la ferme, il ne reste rien. Rongée par le temps, elle n'a pas résisté au tremblement de terre. Toutes les maisons se sont totalement ou en partie effondrées. Résultat, quelque 24 familles se sont retrouvées dans la rue, ou plutôt dans les champs. De roseaux, de couvertures et de …bottes de foin, elles se sont construit des abris de fortune. “On s'y est réfugié et on a attendu”, raconte Ould El Bachir. Or personne n'est venu. “Nous étions privés d'eau depuis le séisme. C'est hier, seulement, après avoir coupé la route que les autorités nous ont livré deux citernes”, confie le sinistré. De l'eau enfin, mais point de nourriture. Les mieux lotis utilisent encore les cours de leurs maisons délabrées pour cuisiner alors que les autres restent tributaires de la charité populaire. “Faites une liste de vos principaux besoins. Nous vous livrerons le nécessaire”, a promis le ministère de la Solidarité. Le représentant de l'Exécutif a croisé la route des sinistrés oubliés par hasard. Il se rendait dimanche en milieu de journée dans le centre-ville de Réghaïa pour s'enquérir du déroulement des opérations de solidarité. En voyant arriver le cortège officiel, les manifestants se sont précipités vers lui. Le ministre est descendu de sa voiture. Il les a écoutés. Il s'est engagé à leur venir en aide puis a continué son chemin. Cependant, depuis, hormis les tentes que l'armée est venue installer hier dans le pré, la situation des fermiers est toujours aussi précaire. Contraints à la promiscuité sous une douzaine de tentes, les 24 familles sont encore livrées à leur sort. Un bébé de quarante jours et une petite fille handicapée partagent leur détresse. De l'autre côté de la rue, à la cité des 122-Logements, plus communément appelée cité Sonacome, le spectacle de désolation et de profonde solitude qui hante les lieux est tout aussi insoutenable. “Venez voir comment nous vivons notre calvaire. Regardez le visage de cette petite fille. Il est dévoré par les moustiques”, témoigne Nabil, un habitant de la cité. Intimidée par les regards qui scrutent son joli minois ravagé par les insectes, la petite Romaïssa baisse la tête. Son père sera hospitalisé aujourd'hui à Alger pour subir une intervention chirurgicale. À son retour, il n'aura d'autre choix sinon passer sa convalescence à la belle étoile. Dans la cité, les rares refuges faits de cartons, de plastiques, de draps, de bennes, de camions… abritent les femmes et les enfants seulement. Quant aux hommes, ils restent toute la nuit éveillés et montent la garde autour d'un feu de camp. “Nous sommes contraints d'assurer notre propre sécurité.” Totalement livrés à leur sort, les locataires des 122 logements sont également des laissés-pour-compte. Pas d'eau, pas de vivres, pas de tentes. “Lorsqu'on demande une tente, on a l'impression de demander un F5”, plaisante amèrement Nabil. Représentant de la cité, il est l'un des initiateurs du coup de force opéré la veille. “L'adjoint au maire s'est engagé à nous livrer les tentes au plus tard demain à 9 heures. S'il ne le fait pas, nous allons de nouveau bloquer la rue”, promet-il. Le jeune homme est excédé. Il veut savoir où est passée toute l'aide internationale dont la télévision se fait quotidiennement l'écho. “On parle de l'arrivée de milliers de tentes. Mais, on ne les voit pas”, renchérit un habitant du lotissement voisin, le fameux lotissement Aïssat-Mustapha dont les habitants seraient bien nourris, selon un responsable du département de la solidarité intervenu à la radio. “C'est vrai que nous mangeons, mais de la m…”, s'écrie un riverain. Dans le quartier sinistré, des familles se sont réfugiées dans une serre de tomates, d'autres sous des plastiques brûlants. S. L.