Un calme précaire régnait hier à Abidjan, la capitale économique de la Côte d'Ivoire, qui présentait l'aspect d'une ville morte au lendemain d'un appel au calme du président Laurent Gbagbo suite à deux jours de manifestations et de pillages antifrançais. Le président Gbagbo a dû se rendre compte à quel point il avait le vide autour de lui au plan international avec les condamnations de l'ONU, l'Union africaine et l'Union européenne lui enjoignant de revenir à la table des négociations afin d'appliquer les accords interivoiriens. Il a dû également et peut-être surtout constater à quel point la France restait une puissance dominante en mesure d'imposer son ordre, puisqu'en très peu de temps, elle a pris le contrôle de l'aéroport international d'Abidjan où ses forces venant des autres bases qu'elle possède en Afrique ont pu atterrir. La France, qui n'a cessé d'affirmer dimanche que la situation était dangereuse, mais sous contrôle, excluait hier toute évacuation de ses milliers de ressortissants vivant en Côte d'Ivoire. Après avoir échoué dans son bras de fer pour mater la rébellion, le président ivoirien Laurent Gbagbo a effectivement « exhorté » dimanche soir les Ivoiriens « au calme ». Alors qu'un calme précaire était revenu dimanche soir à Abidjan, M. Gbagbo en a appelé « à l'union, à la réconciliation des cœurs ». « J'exhorte de nouveau les populations au calme et je demande à tous les manifestants de regagner leur domicile » et de ne « pas céder à la provocation », a-t-il déclaré lors d'une intervention télévisée. C'est pourtant son entourage qui laissait entendre tout le contraire en parlant de Vietnam et lancé des appels à la résistance alors que la France était traitée de puissance occupante. Le pouvoir ivoirien avait relancé le conflit jeudi en bombardant les zones rebelles. Ses partisans avaient violemment réagi à la riposte française, qui avait conduit à la destruction de moyens aériens ivoiriens. Dans la nuit de samedi à dimanche, des manifestants, encouragés par les « jeunes patriotes », véritable milice du pouvoir, ont tenté de « reprendre » l'aéroport, contrôlé depuis la veille par les militaires français. Le régime a multiplié les déclarations belliqueuses. Le président de l'Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, a accusé la France, ancienne puissance coloniale, « d'occuper » son pays et a promis un « Vietnam » au président français Jacques Chirac, qu'il a accusé « d'avoir armé les rebelles ». Pascal Affi N'Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir) a « demandé » dimanche aux patriotes « de descendre massivement » dans les rues jusqu'à « la libération et la réunification de notre pays ». Ce recul intervient il est vrai depuis que l'armée gouvernementale ne paraissait plus en mesure de s'imposer sur le terrain surtout depuis qu'elle a perdu son aviation « neutralisée » par les militaires français, et alors que la France tentait d'obtenir dimanche du Conseil de sécurité de l'Onu une résolution sur la Côte d'Ivoire, prévoyant un embargo sur les armes, un gel des avoirs et une interdiction de voyager pour les personnes jugées responsables du blocage du processus de paix. Une liste nominative des personnes visées par ces mesures sera établie par le conseil. Et nul doute que le chef de l'Etat ivoirien et le président du Parlement y figureront en bonne place. A Abidjan, en proie aux violences depuis deux jours, les pillages se sont poursuivis dimanche dans de nombreux quartiers mais ont diminué dans l'après-midi avec le déploiement des forces françaises et des gendarmes ivoiriens. Selon la radio officielle ivoirienne, trois manifestants ont été tués depuis samedi soir. C'est la fin d'un triste épisode, mais pas celle du conflit qui menace toujours ce pays d'éclatement. Mais jusqu'à quand les Ivoiriens et l'Afrique tout entière continueront-ils à vivre avec la hantise de vivre de nouveaux combats ? Il est à cet égard bien facile et surtout commode de mettre en cause un homme même s'il incarne un régime, sans cerner les causes pourtant profondes de la crise ivoirienne.