Dans cet entretien, le journaliste, spécialiste des questions du Proche-Orient, revient sur les effets de la politique américaine au Maghreb, évoque ses versants destructeurs, mais propose également de nouvelles pistes pour une solidarité Occident-Orient agissante. Liberté : Vous avez évoqué assez largement, lors de votre conférence, les effets de la politique américaine post-11 septembre sur le Proche-Orient, l'Irak ou le Pakistan. Quels effets a-t-elle eus, à l'autre bout du GMO, au Maghreb ? Alain Gresh : Je crois que les effets sur cette région ont été moins directs, mais tout aussi importants. Comme vous le savez, la région du Sahel est considérée par les Américains comme une région extrêmement sensible de circulation d'armes pour le terrorisme. Donc, on assiste là-bas à une intervention “moins” ouverte qu'au Moyen-Orient, mais qui est bien réelle. On voit également le rôle que l'OTAN veut jouer dans le sud de la Méditerranée, sa volonté de développer ses relations avec ces pays du Sud. Il y a donc des conséquences, mais elles sont moins directes qu'au Proche-Orient. Vous avez également parlé des effets déstructurants sur ces pays… Au-delà des dégâts provoqués par les interventions militaires directes des USA dans la région, il y aussi un effet déstructurant sur les systèmes politiques en place. Cela est vrai pour le Maghreb, comme pour le Proche-Orient. Cela se traduit par un immobilisme et une difficulté des gouvernements à répondre aux aspirations de leurs citoyens qui amènent cette désagrégation. Quand on voit, par exemple, la volonté d'émigration à travers la Méditerranée, c'est le reflet parfait de cet affaiblissement des structures. Ces jeunes veulent émigrer du fait que du point du vue économique, social et culturel, ils ne trouvent pas ici de réponses à leurs aspirations. La nouvelle vision sécuritaire globale consécutive au 11 Septembre n'a-t-elle pas eu, dans ces pays, un effet antidémocratique ? Oui, bien sûr ! Il s'agit là d'un vieux procédé, antérieur au 11 septembre. Cela s'appelle “la lutte contre le terrorisme pour justifier l'immobilisme”. Le gouvernement égyptien pratique cela depuis assez longtemps. Autre variante : “S'il y a des élections démocratiques, ce sont les Frères musulmans qui vont gagner.” Quand bien même les Frères musulmans devraient gouverner en Egypte, ils devraient montrer au peuple égyptien comment ils comptent gérer le pays et répondre aux innombrables promesses qu'ils ont faites. Plutôt l'épreuve du pouvoir que cet immobilisme total et cette corruption qui existent aujourd'hui en Egypte. Quels rôles peuvent avoir les opinions maghrébines, et de quels moyens de pression disposent-elles pour contrebalancer ces tendances déstructurantes ? Je ne peux pas vraiment m'avancer sur cette question. Mais je pense qu'au-delà des luttes internes menées pour des changements internes, le développement de passerelles avec les mouvements de résistance au Nord, en Europe sur des sujets communs, est crucial. Il faut créer des passerelles sur des thèmes communs. Aux côtés des thèmes internes et propres à chacun, il existe des thèmes communs aux peuples algériens et français, sur les effets de la mondialisation, sur le combat pour la Palestine, par exemple. Et donc il est important que “chacun ne reste pas dans son pays”. Si l'on a des intérêts communs, même si l'on ne s'entend pas forcément, au moins on se bat pour la même chose. R. A.