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La vie sur les rives de la mer… Morte
La Jordanie à l'ère de la modernité à l'américaine
Publié dans Liberté le 11 - 11 - 2008

Pays coincé entre Israël, la Syrie et l'Irak, la Jordanie allie modernité et traditions. Dépourvu de ressources naturelles, le royaume, grâce à ses dirigeants dont le roi Abdellah, successeur de son père Hussein, qui était hier à Alger, tente de se faire une place au soleil grâce à son tourisme dont la mer Morte, berceau de l'humanité, constitue l'atout principal avec Petra, mais aussi à l'ouverture de son économie. Quelques images d'un pays tolérant dont les parfums d'Orient côtoient les luxes de l'Occident.
Accroupi sur une petite roche, à moitié immergée au bord de la mer, Djamel, proche de la quarantaine, scrute au loin les montagnes qu'on distingue à peine, à environ une dizaine de kilomètres, sous de légers brouillards de cette matinée automnale d'octobre. Kossei, son fils de trois ans, haut comme trois pommes — qu'il a prénommé ainsi en hommage au fils de Saddam Hussein, “mort les armes à la main”, se plaît-il à préciser —, le regard angélique, semble amusé à l'idée de barboter dans cette eau légèrement bleuâtre et tiède. À quelques mètres de là, des touristes de diverses nationalités, des Allemands pour la plupart, Français, mais aussi Russes, reconnaissables à leurs langues, qui commençaient à affluer en quête visiblement de douceur et de quelques quiétudes de l'âme, s'empressent de se mettre dans l'eau pour un bain rituel. La chaleur frise déjà les 30 degrés. Derrière, une femme toute voilée, assise sur une chaise tire sur une clope et fixe l'horizon avec la sérénité d'une statue égyptienne, tandis que son compagnon se macule le corps avec la boue dont on raconte qu'elle a des vertus curatives et thérapeutiques. “Ne mouille pas tes souliers”, ordonne Djamel à sa progéniture, pressée de se mettre dans l'eau. Dans un silence de cathédrale que troublent les palabres des touristes, étonnés et impressionnés par le phénomène de flottement de leurs corps, incapables d'immerger en raison du taux élevé de salinité, Djamel montre du doigt les montagnes d'en face à Kossei. “La-bas, c'est ta patrie”, lui dit-il. Ici, nous sommes à plus de 400 mètres en dessous du niveau de la mer. C'est le point le plus bas de l'univers. L'une des merveilles du monde : la mer Morte. Sur cette rive, on fait face à un endroit qui cristallise les passions, les rancœurs et où se joue, peut-être, le devenir de l'humanité : Jérusalem qu'on ne peut distinguer que par ses lumières la nuit en raison de la présence permanente du brouillard pendant la journée dans cette région, si belle et si mystérieuse. Originaire de Palestine, Djamel, Jordanien par les documents et habitant Ram, une bourgade non loin de là, vient souvent au bord de cette mer pour se ressourcer et retrouver quelque paix intérieure. “Je viens souvent ici. Je ressens un grand bonheur !” Travailleur dans une station de pompage de l'eau qui alimente Amman, la capitale jordanienne, à environ 65 km à l'Est, Djamel, le visage anguleux, est très attaché à la patrie de ses aïeux. Il tient à l'apprendre à son futur héritier, plutôt happé par l'obsession de se jeter à l'eau. Un devoir, assure-t-il, un tantinet de fierté. Berceau de l'humanité, selon les livres, cette région, petite par la géographie et grande par l'histoire, pour paraphraser un homme politique français, respire un mélange de mysticisme et de sacralité. Au silence et à la splendeur du site s'ajoute le stoïcisme des gens qui y font ce qui prend les allures d'un pèlerinage. Alimentée par le Jourdain, ce fleuve qui prend racine au Liban, très au Nord, et séparant Israël de la Syrie et de la Jordanie, la mer Morte est réputée pour son haut niveau de salinité, une particularité qui ne permet aucune vie dans ses entrailles. Ni poisson, ni algue, pas même les esquifs ne peuvent y résister. Une vieille femme russe, qui a eu l'imprudence et la maladresse d'ouvrir ses yeux lorsqu'elle a piqué sa tête, n'a pas cessé de se tordre de douleurs et de gesticuler tel un aveugle tétanisé pendant de longues minutes avant qu'on vienne à son secours et lui rincer les yeux avec de l'eau pure. La mer Morte fait partie de ce qui est connu dans l'histoire comme la patrie de Canaan. Sa formation, comme aime à le répéter Djamel, tient de la sanction de Dieu contre ce qui est communément connu chez les Arabes et les musulmans comme le peuple de Loth. Endroit chargé d'histoire dans lequel s'identifient toutes les religions, la mer Morte est devenue un point de chute très prisé des touristes en quête d'originalité, d'exotisme, mais probablement aussi de spiritualité. À quelques kilomètres en remontant le Jourdain, vers le Nord, il y a le “Batism site”, lieu où le Christ aurait été purifié. Vers l'Est, à deux kilomètres à vol d'oiseau, très visible, trône le mont Nébo, cette montagne où le prophète Moïse de retour d'Egypte s'arrêta et aurait aperçu la terre sainte, la Terre promise pour ainsi dire. En face, derrière la mer, trônent majestueusement, dans une symphonie sublime avec le brouillard, les montagnes qui dissimulent les villes d'Hébron, Bethléem et Jérusalem, une ville qui tient une place prépondérante autant chez les juifs, que chez les musulmans et les chrétiens. Cette particularité de l'endroit, c'est prévisible, suscite bien des vocations. Il donne de bonnes idées à ceux qui flairent les bonnes affaires. Ainsi, des investisseurs, pour la plupart venus des pays du Golfe, y ont élu domicile. De nombreux complexes et hôtels touristiques y ont fleuri, et les habitants de la périphérie y trouvent leur compte. “La majorité des jeunes travaillent dans ces hôtels”, explique Djamel. Il y a même un palais des congrès, propriété du royaume, où le souverain organise des forums et où il peut également recevoir ses convives. Et à la vue des nombreux engins et autres pelleteuses qui “taquinent” les monticules austères, non loin d'ici, on comprend que dans quelques années, l'endroit deviendra une grande station touristique. Unique image qui tranche avec la sérénité de l'endroit : avant d'arriver ici, on doit traverser un “check point” qui rappelle qu'on n'est pas vraiment trop loin de la zone de tension qu'est la Palestine.
Walid, le conteur au compteur
Comme Djamel, mais aussi une bonne partie des Jordaniens, Walid est Palestinien et aime beaucoup l'histoire de son pays et des religions. “Taxieur” chez Europcar, seule société française établie au royaume, dit-il, truculent et bavard, Walid fait régulièrement le trajet entre Amman et la mer Morte. Sa grande affaire à lui est de travailler avec les touristes qui viennent en quantité dans ce petit pays coincé entre deux “feux” : l'Irak à l'Est et Israël à l'Ouest. Ils viennent pour la mer Morte, mais aussi pour Petra, située à mi-chemin entre le golfe d'Aqaba et la mer Morte, à environ 200 km au sud d'Amman, soit à trois heures de route. “Nous n'avons ni pétrole ni eau. On vit surtout du tourisme”, rappelle Walid. Mais, en dépit de l'absence de ces ressources, la Jordanie, grâce sans doute à la clairvoyance de ses dirigeants, a réussi à devenir un havre de paix où il fait bon vivre et où la tolérance se conjugue au quotidien. D'un pays de nomade et agricole, dont quelques traits sont encore visibles sur quelques espaces le long de la route qui mène à la mer Morte, il est devenu, au fil des temps, un pays moderne. Des tours immenses poussent en plein centre de Amman et des hôtels haut standing pullulent un peu partout. Par endroits, comme au quartier Abdoun ou encore Shmissani, on dirait de petits morceaux d'Amérique. Toutes les enseignes sont en anglais et des boutiques ultraluxueuses côtoient une ribambelle de banques et de grands restaurants. Une image typique du pays qu'on retrouve également au Liban ou en Egypte : des jeunes filles bien sapées “squattent” souvent, à la sortie des bureaux, de nombreuses terrasses pour humer l'odeur enivrante du narguilé. Il y a aussi de grands hôpitaux de réputation mondiale et des églises qui font face à des… mosquées. Une belle leçon de tolérance. “Amman est construite sur sept monts”, se plaît à expliquer Walid. Mais, il n'y a pas que des quartiers modernes à Amman, il y a aussi ceux qui distillent les parfums d'Orient. À Djemââ Hussein, un quartier baptisé du nom d'une grande mosquée datant de l'époque ottomane, on retrouve tous les clichés qui renvoient à l'Arabie. Des marchands de tissus, des gargotes, des confiseurs, des artisans, des cafés populaires, mais aussi de vieilles femmes tatouées, assises à même le sol vendant toutes sortes d'herbes jusqu'aux… cigarettes. “Ici, les prix sont moins chers que dans d'autres quartiers”, soutient Walid. Ce cachet oriental attire beaucoup de touristes qui viennent aussi admirer l'immense théâtre romain qui rappelle, si besoin est, l'histoire mille fois millénaire du pays. Le rêve de Walid ? Que le conflit israélo-arabe cesse et que la paix règne d'autant qu'à quelques encablures d'ici se trouve Beqaâ, le plus grand camp de réfugiés palestiniens. Peut-être ainsi un jour, quand Kossei sera grand, il pourra traverser la mer Morte et voir Jérusalem, la ville de toutes les légendes…
K. K.


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