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“La spécialisation est nécessaire”
Me Farouk Ksentini à “Liberté”
Publié dans Liberté le 17 - 11 - 2008

Liberté : Comment réagissez-vous aux différents mouvements dans le corps des magistrats et les multiples sessions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature (CSM)
Me Farouk Ksentini : Elles ont lieu dans le cadre de la loi. C'est prévu dans le cycle de fonctionnement de l'institution judiciaire et c'est légal. Il n'y a rien d'anormal à cela.
La corporation des magistrats est-elle sujette à des travers ?
La corporation non, mais il y a des individus qui commettent des fautes répréhensibles. Ces individus commettent des entraves à la conduite qui doit être la leur.
Vous avez tendance à critiquer souvent les magistrats. Que leur reprochez-vous au juste ?
J'ai critiqué une pratique qui est spécifique au juge d'instruction et au procureur de la République. Ce ne sont pas les magistrats. Il y a un abus dans la détention préventive. Ils peuvent cependant corriger cet abus dans la détention préventive s'ils veulent.
Que pensez-vous de la qualité du jugement rendu par les magistrats ?
D'une manière générale, la qualité de la décision judiciaire est imputable aux magistrats et aux avocats parce qu'ils travaillent ensemble.
Mais pensez-vous que les magistrats rendent de bons jugements ?
Le droit, c'est une question de nuances. Il faut beaucoup de travail sur les dossiers. Les magistrats sont submergés par les dossiers, ils n'ont pas le temps matériel pour se consacrer à chaque dossier.
Ce qui fait qu'ils les expédient de manière sommaire. Il faut un minimum de trois à quatre heures sur un dossier, les magistrats y mettent un quart d'heure.
Un quart d'heure pour un dossier ?
Oui, cela arrive aux magistrats de passer un quart d'heure sur un dossier. Ils arrivent à l'audience avec 150 dossiers en main, ce qui veut dire qu'ils sont inondés par les dossiers. Cela qui gâche leur travail.
Leur travail est donc bâclé ?
Vous savez, un jugement, c'est un costume sur mesure. Je m'explique : il y a un principe qui s'appelle la personnalisation de la peine. C'est-à-dire que la peine est décidée en fonction de la personnalité de l'inculpé. Ce qui fait donc qu'il faut des enquêtes, des investigations, des recherches et des écoutes de témoignages avant de juger une affaire. Ce que ne font pas les magistrats faute de temps et en raison de l'importance des dossiers qu'ils ont entre les mains. C'est une calamité pour la qualité du jugement. Les magistrats sont obligés de les expédier et de les passer rapidement.
Existe-t-il de la corruption dans le corps des magistrats ?
Je n'ai pas rencontré trop de cas.
Pensez-vous que les magistrats rendent de mauvaises décisions de justice ?
Je dirai simplement que leurs décisions pourraient être meilleures.
Pourquoi, justement, les magistrats croulent-ils sous les dossiers ?
Parce qu'il y a une inflation judiciaire. Les gens multiplient les procès et cela ne coûte pas cher. Ils font appel et des pourvois en cassation.
Existe-t-il des magistrats qui vivent dans des conditions matérielles pénibles ?
Oui, il y a des magistrats qui vivent dans des conditions qui laissent à désirer.
Que faudrait-il faire pour améliorer les choses ?
Il faut tout d'abord recruter des magistrats. Le nombre actuel des magistrats est insuffisant pour traiter les affaires qui se présentent à la justice. C'est une corporation respectable qui fait un travail difficile. La corporation des magistrats fait ce qu'elle peut. Ils font des efforts, mais nous sommes loin de la situation idéale. Former un bon magistrat, ce n'est pas une chose facile. Aussi, il faut spécialiser les magistrats, il leur faut des formations professionnelles continues. Il faut aussi que l'Ecole de la magistrature forme plus de magistrats. C'est un métier difficile mais qui s'apprend.


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