Les scénarios les plus insensés sont échafaudés. Des “on m'a raconté” aux fameux témoins oculaires qui vous racontent la scène du rapt, toute la panoplie du relais de la rumeur s'est mise en branle pour littéralement pourrir la vie des Oranais. Oran est la proie de kidnappeurs d'enfants. La nouvelle s'est vite répandue à travers tous les quartiers de la ville, et même au-delà de ses frontières administratives pour devenir l'actualité du moment. Une information reprise de bouche à oreille, entretenue par la rumeur grossissante et prise en charge par la rue pour en faire une vérité. La vérité. Chacun y allait de son rapt et c'était à celui qui raconterait la plus invraisemblable des histoires. Les scénarios les plus insensés sont échafaudés. Des “on m'a raconté” aux fameux témoins oculaires qui vous racontent la scène du rapt, toute la panoplie du relais de la rumeur s'est mise en branle pour littéralement pourrir la vie des Oranais. Une véritable hystérie s'est emparée des familles, craignant pour leurs enfants. Une psychose s'est abattue sur le quotidien de la ville semant les graines de la paranoïa dans l'esprit de parents rongés par la peur. Les enfants se font accompagner à leur établissement scolaires, les plus petits interdits de jouer devant les pas de la porte et les histoires les plus farfelues continuaient à alimenter une chronique à la limite du surréel. Une certaine presse, de son côté, contribua grandement à donner des dimensions inimaginables à un simple fait divers devenu une véritable légende urbaine, en l'espace de quelques jours : Oran était devenue la capitale des rapts d'enfant. Trois enfants auraient été découverts dissimulés dans le coffre d'un taxi. Une femme s'est fait agresser en plein jour et ses deux enfants enlevés par des inconnus circulant à bord d'une fourgonnette. Un enfant de quatre ans aurait été découvert errant sur un terrain vague, ausculté on aurait diagnostiqué un vol de rein. Le vol d'organes se multiplient et tous les enfants sont de potentielles victimes des marchands de la mort. Toutes ces histoires ont été entendues et amplifiées pour donner naissance à une énième légende urbaine. À propos de ces dernières, B. Sadek, sociologue, pense que “la société algérienne vit dans l'irrationnel, et c'est cette dimension conjuguée à la rumeur qui fait qu'elle soit réceptive à ce genre de phénomène”. Boumahraz, l'homme au pilon, Bouchakor, les vieilles bâtisses estampillées hantées, la rumeur a de tout temps sublimé le fait divers pour lui donner des proportions insoupçonnées, et Oran n'échappe pas à la règle. Cependant, le moteur premier de ce phénomène trouve ses racines dans l'absence d'une réaction officielle face au départ de la rumeur. Pour notre sociologue, “on ne parle pas de réaction mais d'absence d'une communication institutionnelle à temps qui prenne en charge l'information”. Une affirmation qui trouve toute sa vérité dans le dénouement du dossier des kidnappeurs d'enfants puisque après un démenti officiel du procureur de la République, niant tout acte ou tentative de rapt à Oran, la rumeur s'est éteinte du jour au lendemain. À croire qu'elle n'a jamais existé et mobilisé toute l'imagination d'une population qui en avait fait son feuilleton d'épouvante. Pour N. D., universitaire, “la société a besoin de croire à ces histoires, même si elles sont le fruit d'une imagination en panne d'inspiration. Le lien entre le rationnel et l'irrationnel s'atténue en temps de crise pour finir par se confondre dans l'esprit des gens”. Selon sa propre expérience du domaine, plus l'individu est socialement installé, plus il tend volontiers à croire au surnaturel et aux histoires d'outre-tombe. D'étranges histoires circulent à l'intérieur des murs du CHUO et de la prison sur des fantômes ayant été aperçus, et l'insistance des témoins était telle qu'avec le temps, ces esprits vagabonds ont fini par faire partie de l'inventaire des lieux. Même les blouses blanches ou les prévôts les relayent, acceptant d'y croire ou de croire encore, pour d'autres, au pouvoir maraboutique de taleb, dont certains ont acquis une réputation bien assise. Hichem, enseignant dans un lycée, sourit à l'évocation du sujet mais préfère l'éluder plus par superstition, comme il tient à l'affirmer, que pour tout autre raison. “Le problème n'est pas de croire ou de ne pas croire à ces histoires, répond Rafika, étudiante en médecine, car elles existeront et continueront d'exister parce que la société en a besoin.” Pour Slimane, homme de culture, “la légende urbaine fait partie du patrimoine oral d'une société et la rumeur y contribue fortement”. B. Sadek résume, quant à lui, le sujet en décrétant que “la rumeur finit toujours par prendre les contours d'une vérité absolue qui s'ancre dans la mémoire collective et devenir une légende urbaine racontée aux plus jeunes”. SAïD OUSSAD