A la fin de la deuxième conférence euro-africaine sur l'immigration mardi à Paris, les deux continents ont affiché un consensus qui n'aura pas vraiment dissipé le malentendu apparu au début des travaux. Quand l'Europe parle de maîtriser des flux, l'Afrique voit s'élever des murs qui barrent à une partie de ses enfants les chemins de la promotion. Quand l'Europe parle de contrôle, l'Afrique redoute la répression. “Une gestion maîtrisée des migrations est nécessaire afin d'éviter aux Etats d'éventuelles difficultés en termes de cohésion sociale et nationale”, plaide l'Europe. C'est le ministre sénégalais de l'Intérieur Cheik Tidiane Sy qui a brisé la glace du consensus en lançant sans fioritures que le Vieux continent a “semé le doute” auprès de ses partenaires du sud en adoptant le Pacte européen sur l'immigration et l'asile. “Dans l'esprit des fervents militants du processus euro-africain sur la migration, ce pacte est perçu comme une volonté des Européens de se bunkériser”, a-t-il dit avant de demander “un effort d'explication et de clarification”. Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, le ministre de l'Immigration Brice Hortefeux, concepteur de “l'immigration choisie” ainsi que le vice-président de la Commission européenne venaient pourtant de louer ce même Pacte. “L'objectif du pacte européen, c'est d'éviter une Europe bunker et une Europe passoire”, a déclaré M. Hortefeux à l'ouverture de la conférence devant quelque 80 délégations. Le Pacte, adopté le 16 octobre à l'unanimité, appelle à une régulation des flux migratoires en fonction des besoins de main-d'oeuvre des Etats de l'UE. Jacques Barrot, a jugé l'accord “très équilibré”. Kouchner s'est souvenu qu'il était de gauche avant de rallier le président Sarkozy. Aussi, a-t-il souligné, qu'il n'aurait pas imaginé deux ans auparavant faire l'éloge d'une politique de droite sur un sujet “délicat” et “sensible”. Il crédite son collègue Hortefeux de toutes les vertus. “Le Pacte, a-t-il dit, a été la première des réussites consensuelles des 27 pays” de l'UE. En réponse, son homologue du Maroc, Taïeb Fassi Fihri, a appelé l'Europe à davantage de “réalisme”. “Nous demandons, nous exigeons auprès de nos partenaires du Nord une logique constructive et ouverte qui aille bien au-delà de cette volonté de se fermer”, a-t-il ajouté demandant d'"ouvrir des passerelles de migration régulière pour tempérer les velléités des clandestins”.Le ministre burkinabé des Affaires étrangères, Alain Bédouma Yoda, a également plaidé pour des projets de développement dans les pays d'origine tout en demandant “d'assouplir les conditions d'entrée” en Europe, sous peine de voir les problèmes perdurer. La conférence de Paris se voulait comme une nouvelle étape d'un processus engagé à Rabat en juillet 2006 pour établir un “partenariat étroit” entre pays d'origine et pays de destination face au flux d'immigration ouest-africaine vers l'Europe. Elle faisait suite à une crise dramatique dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla (nord du Maroc), à l'été 2005, lorsque des milliers de candidats africains à l'émigration s'étaient heurtés aux murs dressés à la frontière. Depuis, les flots ont continué à se déverser via le désert ou la mer sur des embarcations de fortune. L'Algérie n'a pas participé à la réunion qu'elle voit dans le cadre plus approprié, selon elle, du dialogue UE/Union africaine. Un journaliste marocain de l'Agence MAP a posé la question à M. Hortefeux qui a répondu sobrement que l'Algérie ne s'était pas associée au processus engagé à Rabat. La conférence s'est achevée par l'adoption d'un programme triennal (2009-2011) pour lutter contre l'immigration clandestine et organiser l'immigration légale ainsi que le développement solidaire. Le programme se présente sous forme d'une panoplie de propositions (108) où “chacun peut puiser”. Il constituera la base des actions multilatérales et bilatérales des pays et institutions parties au processus euro-africain, en concertation avec les institutions observatrices. “Les participants s'engagent à mettre en œuvre, sur la base du volontariat, un nombre significatif des actions énoncées ci-dessous en fonction des particularités de leur situation migratoire et des priorités qui en découlent. Ils choisiront les mesures du programme qu'ils entendent promouvoir, ainsi que les procédures et les financements qui s'y rattachent", peut-on lire dans la déclaration finale. La mesure la plus spectaculaire concernant l'immigration irrégulière propose de “lutter contre la fraude documentaire” courante dans certains pays africains, en ayant notamment recours à l'informatique et à la biométrie. Il est aussi proposé de “renforcer le contrôle aux frontières” en aidant à “la création de postes frontières communs”. La conférence préconise aussi “d'améliorer les réadmissions” dans les pays d'origine des clandestins expulsés d'Europe et de promouvoir les “retours volontaires” par des aides à la réinsertion. Pour organiser la migration légale, la conférence veut la création ou le renforcement dans les pays d'origine “d'agences spécialisées en matière d'emploi” à l'instar du Cigem récemment installé à Bamako (Mali) et financé par l'Union européenne. Le programme confirme aussi l'option européenne de l'immigration choisie en voulant privilégier l'accueil de “travailleurs hautement qualifiés” tout en “cherchant à prévenir la fuite des cerveaux”. En ce qui concerne le lien migration-développement, la conférence recommande “d'accompagner les politiques d'emploi et de développement économique et social des pays d'origine” et “d'améliorer la protection sociale des migrants” ainsi que de “faciliter la baisse des coûts de leurs transferts de fonds”... Jusqu'à hier, le Mali rechignait à signer avec la France un accord sur les gestions des flux migratoires. Preuve que le paradis européen est peut-être pavé de quelque mauvaise intention. A. Ouali Pays participants ll Allemagne, Autriche, Belgique, Bénin, Bulgarie, Burkina-Faso, Cameroun, Cap-Vert, Chypre, République centrafricaine, Congo, Côte d'Ivoire, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Gabon, Gambie, Ghana, Grèce, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Liberia, Libye, Lituanie, Luxembourg, Mali, Malte, Maroc, Mauritanie, Niger, Nigeria, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République démocratique du Congo, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Sénégal , Sierra Leone, Slovaquie, Slovénie, Suisse, Suède, Tchad, Togo, Tunisie.