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Descente aux enfers aux portes d'Alger
Opérations des unités spéciales de la gendarmerie nationale
Publié dans Liberté le 23 - 12 - 2008

Le peu de bidonvilles qui résistent à l'urbanisation menacent tragiquement l'avenir environnemental et le cadre de vie à Alger. Même si elle connaît une régression perceptible, la criminalité tourmente toujours la capitale. Descente avec les sections de sécurité et d'intervention (SSI) dans le bidonville d'El-Kerouche où le délit et le crime, la misère et les maladies sont légion.
À peine le voile de l'humidité commence à se dissiper en cette matinée du dimanche 21 décembre – la plus courte journée de l'année – et que le soleil caresse les tristes et lugubres toits en zinc du bidonville El-Kerouche – pas loin de haï Dallas – que les gendarmes décident de pénétrer un site pas comme les autres, connu pour son hostilité à toute présence étrangère. Et ce n'est pas une mince affaire dès que le patron de la Gendarmerie nationale de Rouiba, le commandant de compagnie Réda Boukhenfouf, annonce la couleur aux éléments des deux Sections de sécurité et d'intervention (SSI) d'Alger, plus exactement de Heuraoua et de Sidi Moussa, réunis au 2e GIR (Groupement d'intervention et de réserve), un groupement que commande le colonel Baghou. “Soyez vigilants ! Vous devez effectuer vos interpellations en usant de toute la force de la loi et uniquement de la loi. Certaines personnes que nous recherchons ou que nous allons appréhender sont sans doute armées. Notre virée pédestre devra être symétriquement synchronisée avec les unités qui nous accompagnent, comme la section cynophile”, s'attarde à expliquer le commandant Boukhenfouf pour ces sections d'élite formées par le CGN (Commandement de la Gendarmerie nationale) dans le cadre de la spécialisation dans les opérations d'intervention rapide. Et ce n'est un secret pour personne, l'Etat a dû mobiliser une brigade entière de gendarmes pour effectuer le dernier recensement dans ce bidonville où l'agression à l'arme blanche, le trafic de drogue et la détention des armes prohibées sont légion. Et si le terrorisme a ruralisé les abords des grandes villes, à commencer par Alger, il est aujourd'hui évident que les habitants de ces haouch ne sont pas prêts à quitter les lieux en s'investissant, au contraire, à développer toutes les activités réprimées par la loi.
Le corps dans les égouts, la mort dans l'âme…
10h18. Nous arrivons à hauteur de la cafétéria de haï El-Kerouche. Le lieutenant Chorfi, responsable des SSI d'Alger, supervise l'arrivée en force de ses unités et dispatche les tâches. La descente se fait à une vitesse telle que les personnes présentes sur les lieux n'ont rien vu arriver. Centre principal d'accès à ce bidonville, il constitue également le point de chute des dealers, le repaire des jeunes consommateurs et l'axe du mal où interfèrent coupables et complices, nouvelles recrues et multirécidivistes. Car, en fait, El-Kerouche est une mosaïque de populations arrivées dans les années 1980, puis celles qui se sont greffées avec l'exode rural durant les années 1990 sous la menace terroriste, et, ensuite, celles qui – le lien parental étant pour quelque chose – viennent graviter autour de ses abords pour tenter de décrocher un job et un abri. 10h30. La fouille effectuée, les gendarmes foncent droit au cœur d'une cité complètement sclérosée et sociologiquement indescriptible dans la mesure où… le pire est à venir. Ce haouch renferme, au fait, un drame humain dans toutes ses dimensions. Composé de secteurs et de sous-secteurs au-dessus des lits d'eaux usées, reliés via des ponts de fortune, El-Kerouche est l'incarnation d'un enfer sur terre… aux portes de la capitale. Chaque secteur a sa décharge, ses tonnes de boue, son oued et ses crevasses d'une eau stagnée où prolifèrent moustiques, rats d'égouts, maladies, odeurs nauséabondes, voire des microbes à l'air libre. Un décor digne du Moyen-Âge ! Pieds nus, pour certains d'entre-eux à peine réveillés, les élèves en vacances d'hiver suivent au pas le déplacement des gendarmes qui courent derrière les faiseurs de la loi de la jungle sur les RN61 et 5, mais aussi la RN24 où la délinquance et la criminalité gagnent du terrain. Les maisons en parpaing, en brique rouge, habillées de zinc, de ferraille de toutes sortes, de bâches et autre boue traitée, rendent la mission difficile aux SSI. Les ruelles étroites, érigées en labyrinthe, ouvertes par-ci et fermées par-là, donnent froid dans le dos et renseignent de l'esprit maléfique qui hante ce bidonville. Première arrestation, un quinquagénaire en possession d'un bout de kif traité. La pelle à la main, il avouera vite aux gendarmes qu'il est malade et qu'il travaille au chantier. Mais c'est compter sans Nidkat, un chien de race qui obéit au doigt et à l'œil au caporal-chef Benaouda. Le drogué n'est autre qu'un multirécidiviste qui a à sa charge 7 affaires de justice, dont la construction de commerces illicites au haouch et d'autres délits divers. Il a d'ailleurs déjà purgé 10 ans de réclusion criminelle. Une deuxième, puis une troisième arrestations, pour détention d'armes prohibées et agression à l'arme blanche et trafic de drogue, confirment que cette cité n'est autre qu'une pépinière de délinquants, de criminels potentiels et de laissés-pour-compte victimes d'une gestion anachronique et permissive de bidonvilles qui résistent dans le temps à l'urbanisation, menaçant, du coup, l'avenir environnemental et le cadre de vie d'Alger. Les interpellations se multiplient au fur et à mesure que les gendarmes tentent d'arracher des aveux aux suspects fouillés de fond en comble. Parallèlement, d'autres unités de SSI, dirigées par le lieutenant Abdaoui, mènent une opération similaire de l'autre côté d'un haï plongé dans le chaos. Et si certains ont immédiatement coopéré et balancé leurs acolytes, d'autres, en revanche, gardent leur sang- froid et osent, têtus, défier les éléments des SSI plus que jamais décidés à ratisser large.
Les derniers bidonvilles d'Alger, de grands cimetières à ciel ouvert
Au 390 comme 695, un bidonville par ailleurs recensé sous le numéro 603, il est difficile de pénétrer dans le secret de ce cimetière à ciel ouvert. Oui, un cimetière quand on sait les conditions inhumaines dans lesquelles s'épanouissent les enfants. Des suspects prennent la fuite à la vue des gendarmes. L'un d'eux sera arrêté et relâché dès que son profil ne justifie pas une arrestation. 11h45. Nous arrivons à la sortie du bidonville El-Kerouche. Lieu de prédilection par excellence, il constitue le coupe-gorge des malfaiteurs qui délestent leurs victimes de leurs biens et les agressent. À un jet de pierre de la RN5, sur la rocade sud, ce terrain vague est aussi la plaque tournante de tous les délits et autres trafics d'armes et de drogue. La deuxième opération aussi rude que la première nous mènera vers les quartiers et les champs Djafri et Mourad, à Réghaïa. Aucun coin n'a échappé à la fouille. Il est à peine 14h30, sous un climat plus clément et loin des puanteurs mortelles d'El-Kerouche, quand les gendarmes brassent les lieux. Sillonnant à pied les champs sur près de 3 km, les hommes de Chorfi n'ont rien laissé au hasard. Rien à signaler et l'heure n'est pas aux interpellations. Mais l'objectif est atteint : il est nécessaire de signifier aux narcotrafiquants que les SSI peuvent surgir à n'importe quel moment. Une thérapie de choc qui a d'ailleurs porté ses fruits au vu des résultats probants enregistrés. Le corps dans les égouts et la mort dans l'âme, certains des jeunes que nous avons tenté d'approcher semblent mener indifféremment une vie incolore et inodore, défiant toutes les lois de Dame Nature. Comme s'ils n'ont rien à… perdre !
F. B.
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