Il y a deux ans déjà, pratiquement jour pour jour, le phénomène des harragas a démarré à Annaba, en particulier, et dans toute la côte est du pays, en général. Comment en est-on arrivé là ? Qui est derrière ce commerce pour les uns et suicide pour les autres ? “C'est un marin pêcheur de la cité Sidi Salem qui est à l'origine du phénomène d'“el-harga” à partir des côtes de Annaba.” Il s'agit de la conclusion à laquelle ont abouti les investigations effectuées par les différents services de sécurité à ce sujet. Ce marin pêcheur s'est retrouvé accidentellement, dit-on, un jour de novembre 2006, tout près des côtes de l'île de la Sardaigne (Italie). Après un bref séjour sur l'île et une fois de retour dans son quartier, celui qu'on appelle “Christophe Colomb” de Sidi Salem a raconté son aventure extraordinaire à ses amis et ses proches en leur montrant, pour leur prouver la véracité de ce qu'il avait avancé, des photos et films pris sur les lieux à l'aide de son portable, le montrant en compagnie d'habitants de l'île, rapportent ses proches. Depuis, la star de Sidi Salem s'est remise, discrètement, à préparer son départ définitif vers l'autre rive de la Méditerranée. En réalité, l'itinéraire d'el-harba ou d'el-harga, a tenu à expliquer un de ses voisins, qu'il avait repéré et balisé à l'aide d'un GPS, le taquinait depuis sa fameuse découverte de l'île. Ce sera lui qui inaugurera la nouvelle route maritime qu'il a découverte quelques jours avant. Profitant d'une belle journée ensoleillée d'un mardi 26 décembre 2006, alors que les conditions de navigation étaient favorables (vent faible, mer calme et une bonne visibilité), le premier émigrant clandestin de l'histoire de la Coquette a décidé de mettre les voiles. Au moment de son appareillage, ils étaient nombreux les jeunes de son quartier à assister à son départ, raconte-t-on. Personne n'en croyait ses yeux quand l'aventurier embarqua sa femme enceinte et ses enfants sur son hors-bord et prit le large sous les applaudissements d'ouled el-houma. Moins de 20 heures après, le téléphone portable d'un de ses amis bourdonnait. Au bout du fil, c'était “Christophe”. Il avait réussi à accoster sain et sauf en Italie. La nouvelle s'était propagée telle une traînée de poudre à travers la cité et dans d'autres quartiers de Annaba. Depuis lors, on ne parla plus, surtout à Sidi Salem, que d'el-harga (la fuite). Le 31 décembre 2007 au soir, pas moins de 150 harragas à bord d'une trentaine d'embarcations suivaient les traces du marin pêcheur sur le chemin de l'exil volontaire. Deux de nos confrères d'un quotidien régional avaient pu assister à l'événement et en ont rapporté en détail chaque instant. Depuis, des filières spécialisées dans le passage des clandestins, la fabrication des embarcations et la vente de matériels nécessaires à la navigation ont vu le jour dans la région et il ne se passe pas une semaine sans que l'on signale le départ d'un ou plusieurs esquifs de la mort depuis les plages d'échouage de Sidi Salem, de Chetaïbi ou encore du Cap de garde et ce, dès que les conditions climatiques le permettent. Le danger de mort qui guette les aventuriers et le nombre effrayant de décès signalé par la presse et de portés disparus au large de la Méditerranée n'arrivent pas à décourager les candidats toujours aussi nombreux à l'émigration clandestine. Le phénomène des harragas va sans cesse grossissant. Il concerne, aujourd'hui, des jeunes venus des autres régions du pays. Les tentatives de fuite sont, certes, régulièrement contrariées par les éléments des gardes côtes de la façade maritime est, mais des embarcations réussissent malgré tout à contourner le dispositif de surveillance pour atteindre les côtes italiennes, pour le malheur de leurs occupants, il faut le dire. Pourtant, rares sont ceux qui réussissent à poser le pied sur l'autre rive de la Méditerranée. Les uns sont interceptés en mer, les autres repêchés à l'état de cadavres. D'autres encore, beaucoup, sont portés disparus. D'horribles informations en provenance de ce pays font état de l'assassinat de nombreux émigrants clandestins qui auraient refusé le diktat des racketteurs italiens, autrement dit, de la maffia locale. À ce propos, nos sources affirment qu'aujourd'hui, les immigrants clandestins en provenance d'Algérie sont systématiquement réduits à l'esclavage. Seuls les harragas en bonne santé auraient des chances d'être acceptés sur le sol italien avant d'être honteusement exploités par des bandes activant dans le circuit du travail au noir. “Le jour de la paie, des rançonneurs passent pour prendre une commission, estimée à 70%, du semblant de salaire qui sont distribués à ceux qui tombent sous les griffes des racketteurs et gare à qui ose protester ou refuser !” rapportent nos sources. B. Badis