Je pensais que le chef d'un Etat qui a été aussi inefficace que l'a été le nôtre lors du séisme du 21 mai dernier n'oserait pas revenir ni sur les lieux ni sur le sujet du crime. Le comportement de la télévision de l'Etat en témoigne encore : ce jour-là, l'ENTV avait poursuivi la retransmission jusqu'aux prolongations d'un match de football qui avait débuté bien après le cataclysme. En d'autres termes, près de trois heures après une catastrophe survenue aux portes d'Alger et qui a fait des victimes jusque dans la capitale, le pouvoir n'était pas encore renseigné sur l'étendue du malheur. Tous ceux qui ont passé la nuit du drame dans les régions sinistrées savent que l'Etat a été le dernier à être réveillé par la secousse. Bien après certains à l'étranger. Et les quelques institutions en veille ce jour-là, comme l'Entv et le Craag, se sont mobilisées pour nous… endormir. Et au lieu de nous laisser oublier la nonchalance coupable et légendaire de nos institutions, le président de la République s'en est allé faire de la démission de l'Etat l'objet d'un discours d'autosatisfaction et de moralisation, non pas à Zemmouri, bien entendu, mais à Blida. Bouteflika qui fait bien de déplorer “l'exploitation vile et mesquine de cette tragédie de la part de spéculateurs et de politiciens” conclut, cependant, sur la sentence politicienne selon laquelle “nous devons être conscients qu'aucun ne trouvera de salut en dehors du projet auquel aspire l'ensemble de la société dans le cadre d'un dialogue ouvert et constructif”. Il aurait pu ajouter : “Le mien.” D'ailleurs, et comme pour se révéler, il précisera qu'“en tant qu'homme de paix”, il “appelle à la concorde et à la réconciliation nationales”. Il se gardera, par contre, de dénoncer, même pas dans la foulée de la condamnation des “spéculateurs et politiciens”, ceux qui sont venus tuer des Patriotes sur les décombres déjà ensanglantées de Zemmouri. Sur ce sujet, le Président s'en remet à Dieu : “Celui qui se repentit, Dieu acceptera son repentir et celui qui s'éloigne du droit chemin et de la raison, Dieu le punira.” Ce qui justifie l'immunité qu'il leur assure ici-bas. Voici comment un Etat se disculpe de sa démission et verse dans la bigoterie politique qui exploite l'épuisement d'un peuple rompu par l'épreuve. Et de détourner ensuite la solidarité citoyenne comme soutien à la concorde nationale et la sympathie internationale comme résultat programmatique du régime ! Convergeant avec le mouvement mystificateur, le Président nous recommande de ne “jamais désespérer de la miséricorde de Dieu”, sans nous préciser si sa promesse de relogement général avant l'hiver tient de l'engagement d'Etat ou de ce genre de professions de foi. On savait la promesse arithmétiquement risquée, mais quand on voit que le gouvernement n'a “hébergé”, malgré les aides privées et internationales, que quelque 190 000 personnes, on est en droit de s'étonner de sa prétention à “loger” en quelques mois la population d'une wilaya et des citoyens des sept wilayas limitrophes. Le déficit d'Etat est encore trop grand, à ce qui s'est constaté à l'occasion de cette tragédie ; il ne se compense pas par des mots. Mais, cela n'empêche peut-être pas la campagne qui s'annonce déjà sur les ruines de Boumerdès. M. H.