Les marches n'arrêteront ni la guerre ni les exactions de l'armée israélienne. Elles ne feront pas changer de position l'Administration américaine, dont le Sénat vient tout juste de réitérer son soutien indéfectible à l'Etat hébreu. Elles ne feront pas reculer l'Union européenne dans son projet d'accorder un statut particulier à Israël. La rue arabe se met à l'heure gazaouie pour crier sa désapprobation du génocide perpétré présentement par l'armée israélienne contre la population de Gaza. Des manifestations, sommes toutes, attendues, et souvent utilisées comme dernier recours, comme signe d'impuissance, faute d'exprimer une solidarité agissante à cette population meurtrie. La réaction de la rue arabe, si elle exprime une sincère solidarité passionnelle avec les victimes du nouvel holocauste, n'en cache pas moins une grande frustration de ne rien pouvoir faire de mieux, pour venir en aide à cette population meurtrie, que de marcher et de crier. Les marches n'arrêteront ni la guerre ni les exactions de l'armée israélienne. Elles ne feront pas changer de position l'administration américaine, dont le Sénat vient tout juste de réitérer son soutien indéfectible à l'Etat hébreu. Elles ne feront pas reculer l'Union européenne dans son projet d'accorder un statut particulier à Israël. Les marches ne changeront pas, non plus, le scénario de l'issue de l'agression menée actuellement contre Gaza : le mouvement Hamas sera conduit à conclure une trêve avec Israël, tôt ou tard. L'on s'attardera, peut-être, sur la “victoire politique” et la “formidable résistance” du Hamas, mais l'on ne pourra faire l'impasse sur le bilan macabre d'une telle aventure, ni sur les responsabilités politiques d'un tel drame. L'opinion publique ne retient que ce que l'on veut bien lui montrer. Le conflit au sud du Liban n'est pas si lointain. Et pourtant, les gens n'ont retenu que “la victoire du Hezbollah”, omettant les pertes humaines (1 200 morts) et les incommensurables dégâts matériels subis par un Liban déjà grandement affecté par une guerre civile récurrente. Dans ce genre de situations, l'émotionnel prend le dessus sur le rationnel et gare aux voix qui essayent de faire la part des choses. Le comédien égyptien, Adel Imam, vient d'en avoir, une fois de plus, l'illustration, en se mettant, en termes crus, à contre-courant du discours populiste ambiant. Le comédien, qui a reçu plusieurs menaces de mort, dont les dernières remontent à juin 2008 pour avoir joué le rôle d'un copte. Du coup, il a été accusé de conversion au christianisme. Tout le tollé orchestré présentement contre Adel Imam concerne ses propos tenus au sujet de Gaza : “Le Hamas a ignoré nos mises en garde et a choisi d'entrer dans un conflit armé inégal. Il est préférable, pour le Hamas, d'arrêter. Il doit savoir qu'Israël n'allait pas répondre aux tirs de roquettes par des bouquets de roses.” Adel Imam jette un véritable pavé dans la mare en lançant le débat sur l'avis des Palestiniens de l'intérieur, qui subissent le dictat du Hamas au moment où ce dernier s'apprête à affronter des échéances électorales (législatives et présidentielles), au même titre, d'ailleurs, que son ennemi, Israël. Le grand mufti d'Arabie Saoudite a abondé dans le même sens, samedi passé, en qualifiant de “foules inutiles” les manifestations contre l'offensive militaire israélienne contre Gaza. “La foule n'apporte rien de bon. (Les manifestations) n'ont aucun sens”, a déclaré Cheikh Abdoul Aziz al-Cheikh dans un communiqué publié samedi par le quotidien Okaz. “Verser de l'argent et envoyer de l'aide sont des actions bénéfiques, mais les foules et le bruit des manifestations sont inutiles”, a-t-il dit. Mais l'hypocrisie collective voudrait que ces voix discordantes soient tues ou vite décriées, pour faire place nette au populisme et au discours islamiste qui a fait tant de dégâts dans le monde arabe, en Algérie particulièrement. Et voilà qu'un cheb Khaled se met, lui aussi, dans le bal en annonçant, à qui voudrait bien le croire, qu'il serait prêt au “djihad” pour Gaza. On aurait bien aimé le croire s'il avait dit cela au moment où il était bien pris en charge par les producteurs parisiens connus pour leur appartenance au lobby juif. Comme on aurait aimé entendre ces voix qui scandaient leur soutien à l'Irak et qui l'ont complètement oublié aujourd'hui, alors que le pays compte toujours ses morts. Adonis, un grand poète et penseur arabe, a eu le courage de dire, en octobre dernier à Alger, ce qu'il pensait des régimes arabes, de l'utilisation de l'islam dans la politique. Tout le monde connaît la suite qui lui a été réservée en Algérie et dans le monde arabe. Tout le monde connaît aussi la suite donnée aux positions tranchées de Mahmoud Derouich. Mais personne n'ose leur apporter la contradiction intellectuelle. Ailleurs, ce sont les gens des lettres, les intellectuels, qui façonnent l'opinion publique. Chez nous, le seul consensus arabe qui s'est dessiné au fil de la dernière décennie, est d'annihiler toute expression politique ou intellectuelle et ne laisser, sur la scène que l'islamisme radical, comme soupape de sécurité, ou comme épouvantail. Ce que l'opinion publique n'a pas retenu, c'est que le Hamas a pris le pouvoir par la force dans la bande de Gaza, obligeant l'autorité palestinienne à battre en retraite vers la Cisjordanie. La communauté internationale, pays arabes en tête, a dénoncé ce coup d'Etat. Ce que l'opinion publique ne veut pas entendre c'est que la guerre inégale, menée actuellement, se déroule au moment où les divisions interpalestiniennes ont atteint un seuil jamais égalé atteignant le point d'affrontements sanglants entre factions belligérantes. Croire que l'arrêt de l'agression contre Gaza résoudrait le problème palestinien, c'est se mentir soi-même. Croire que la solution Gaza-Jericho, imposée à Yasser Arafat à Oslo, constitue la solution au conflit israélo-palestinien, et israélo-arabe, c'est faire le jeu d'Israël et de ses sponsors américains et européens. Est-ce à dire qu'il faudrait être indifférent par rapport à ce qui se passe à Gaza ? Bien sûr que non, mais la solidarité, matérielle ou émotionnelle ne suffira pas pour un peuple qui subit un déni de justice international depuis 1948. L'annexion de plus de trois tiers des territoires de la Palestine par Tsahal s'est faite avec la bénédiction américano-européenne, et les solutions arabes proposées jusque-là ont toutes prêché par un manque de fermeté. C'est qu'on ne va pas à la guerre comme on va en colonie de vacances. On ne se bat pas contre la machine politico-médiatique d'Israël avec des dirigeants hésitants, divisés et tellement hantés par la crainte de perdre leur trône. On peut perdre une guerre, l'éviter, faire des pas en arrière, pour mieux sauter et rétablir le peuple palestinien dans ses droits. Mais, pour ce faire, il faut avoir la volonté sincère de la faire et mettre les moyens nécessaires et ce n'est surtout pas en chantant, ou en marchant qu'on arrêtera la barbarie israélienne. A. B.