Entre le pardon et l'oubli, il n'y a souvent qu'un fil. À travers un retour en poésie sur la décennie noire, Samira Kebli développe dans son premier roman cette idée fondamentale qui trouble les perspectives des Algériens, tout en les confrontant à un avenir hasardeux. Baâda an samata e-rassas (après le silence des balles) est le premier roman, en langue arabe, de la jeune poétesse, Samira Kebli, qui a troqué son uniforme de commissaire de police contre une plume et une feuille de papier, manifestement plus cathartique et thérapeutique. Samira Kebli se lance donc, dans la grande aventure de la littérature, tout en proposant un grand changement du point de vue formel, commettant ainsi un roman en vers. En effet, Baâda an samata e-rassas n'est pas écrit en prose rimée ou rythmée, mais plutôt un roman de 284 pages, écrit en poésie libre, avec des phrases courtes et orientées, qui atteignent, telles les balles, leurs cibles. L'auteure raconte, dans son premier-né, l'histoire d'un journaliste algérien qui avait tout pour réussir mais qui a fui pour sauver sa vie. Mohamed avait une brillante carrière dans la presse, un poste d'enseignant à l'université, l'amour d'une jeune femme, et une vie bien rangée, dans l'authentique quartier de la Casbah. Mais le destin en a décidé autrement pour Mohamed. Avec la montée de l'islamisme, de l'intégrisme, puis du terrorisme, la vie du journaliste est devenue menacée et il a donc été contraint de fuir le pays. Il choisit de s'exiler en Syrie, de continuer à écrire, mais il sombre très vite dans la déprime et la nostalgie. Déchiré entre ses souvenirs et sa passion pour sa ville, Mohamed laisse sa vie lui filer entre les mains. Le propos de Samira Kebli est très pertinent car, en toile de fond, elle traite de la “Réconciliation nationale” de 2005, et cherche à donner du sens, à un non-sens. À mesure que la fiction avance, le lecteur réalise qu'il ne faut pas chercher du sens par rapport à un phénomène qui en est dépourvu. La décennie noire fait partie de ces phénomènes inexplicables et le processus de réconciliation n'en est que la résolution logique… d'un fait illogique. Comme nous sommes dans un univers romanesque et vraisemblable, c'est le personnage principal, à savoir M ohamed qui, par le biais de ses réminiscences, nous replonge dans le chaos des années 1990. À la fin du roman, qui se caractérise par une grande fluidité et une grande clairvoyance dans le rapport à la réalité, le lecteur réalise, non sans déception et découragement, que la réconciliation n'implique pas la fin de la violence. En revanche, Samira Kebli a manqué de subtilité et de finesse dans la construction de son histoire. En effet, l'auteure ne nous épargne pas le clichés, notamment par le biais de la chanson Ya Rayah (de Dahmane El Harrachi), ou encore avec l'histoire de la fille qui épouse un terroriste et rejoint le maquis. Samira Kebli est tombée, très souvent, dans la facilité, manquant parfois de subtilité et de finesse. Mais Baâda an samata e-rassas réclame notre indulgence parce qu'il déflore un thème épineux et pose la problématique fondamentale de la violence. Qu'y a-t-il au-delà de la violence ? Et la violence, que peut-elle engendrer ? Samira Kebli a osé. Et quelle belle audace, puisqu'elle a su donner du sens à son roman, avec des mots simples et justes qui ne justifient en rien le crime, mais qui expliquent le malaise de l'homme, de l'Algérien et de l'Algérie, par rapport à une décennie qui a fait couler du sang et de l'encre, mais sur laquelle on n'a pas encore tout dit. L'ère est au pardon, mais entre le pardon et l'oubli, il n'y a qu'un fil. Sara Kharfi Baâda an samata e-rassas de Samira Kebli, 284 pages, Casbah Editions, Alger 2008