La nuit commençait à tomber en cette chaude journée de juin, et une brise fraîche caressait voluptueusement l'atmosphère et imprégnait de fraîcheur les ruelles de Sidi El-Bahri, une petite dechra des Hauts-Plateaux qui se vidait au fur et à mesure que le jour agonisait. Une heure plus tard, la nuit enveloppait les lieux et seuls quelques chats vagabonds continuaient leur errance de porte en porte à la recherche de quelques déchets alimentaires. Aldjia, la vieille matrone du village, descendait prestement les escaliers qui la séparaient de la grande route. Il était environ 21h et la pleine lune illuminait la grande place. Aldjia se dirigea à grandes enjambées vers le “Café des amis” où se réunissaient chaque soir tous les chauffeurs de bus et de taxi de la commune. Aldjia était connue dans ce petit patelin où l'on venait la consulter pour plusieurs maux. Ses connaissances occultes ont fait d'elle une personne appréhendée. Quelques-uns la trouvaient louche et l'évitaient comme le diable, d'autres par contre la côtoyaient et faisaient appel à ses services. En fait, Aldjia était tout simplement ce qu'on pourrait appelé une “guezzana” et puisait sa puissance dans le répertoire des croyances occultes et du charlatanisme. Pour quelques billets de banque, elle était prête à sacrifier même sa propre progéniture. Plusieurs de ses enfants d'ailleurs avaient largué les amarres pour fuir leur propre mère qui n'avait de son rôle que le nom. Pour cette nuit, Aldjia avait un plan bien précis. Et c'est d'un pas alerte qu'elle pénétra dans le café à la recherche d'un taxieur de sa connaissance. Ah ! Voilà Belkacem, le boiteux. Il la connaît bien, il ne va sûrement pas lui refuser la course. Pourtant, à sa proposition, Belkacem parut hésitant. C'est que l'endroit où il doit conduire sa cliente est un peu à l'écart du village, et se rendre dans tel lieu en pleine nuit ne l'enchantait guère. Mais Aldjia insista tant qu'il fini par accepter. Le voici donc devant le grand portail d'un cimetière. Dans un coin reculé, le gardien dormait à poings fermés sur une natte. Belkacem descendit de son taxi pour accompagner la vieille femme, mais cette dernière refuse catégoriquement : - Non, mon fils, que Dieu te protège, reste dans la voiture, et attends moi, je n'en ai pas pour longtemps. Trop content pour protester, Belkacem retourna à son taxi et scruta les alentours. Ici, le vide épouse la nuit. Les hiboux répètent leur symphonie lugubre et seul un poteau électrique au bord de la route reflétait une petite note de civilisation. Fatigué, Belkacem s'endormit sur son volant. Pendant ce temps, Aldjia s'emparant d'une pioche et d'une pelle dans la cabane de garde se faufila parmi les tombes à la recherche d'un mort fraîchement enterré. Elle n'eut aucun mal d'ailleurs à le découvrir. Rejetant alors son “haïk”, elle entama sa besogne… 00h30, Belkacem se réveille en sursaut, et jeta un coup d'œil à sa montre. Cela fait exactement trois heures qu'Aldjia est dans ce cimetière. Mais que fabrique-t-elle donc ? Ne sachant que faire, Belkacem alla réveiller le gardien et lui narra son aventure nocturne. Ce dernier, tout d'abord étonné, n'arrivait pas à le croire, mais constatant la disparition de ses outils dans la cabane, il lui demanda d'aller chercher la police. Belkacem ne se le fait pas dire deux fois. Et 15 minutes plus tard, les policiers découvrirent effarés un spectacle hors du commun : Aldjia avait déterré un mort, et le tenait en position assise devant une terrine pleine d'une sorte de semoule verdâtre. Les mains du mort étaient imprégnées de cette mystérieuse préparation. Prise en flagrant délit, Aldjia fut condamnée à dix années de réclusion, mais mourut la même année. Le jour de son enterrement dans ce même cimetière où elle fut arrêtée, des témoins oculaires jurèrent avoir vu une fumée noire s'échapper de sa tombe. Y. S.