A la faveur de la nuit, le rêve reste permis et c'est à cela que Skikda ressemble, l'été fini. «Douloureux portrait d'une ville dont on disait tout le bien, Skikda, la perle écarlate du jour troque sa splendeur diurne contre des phénomènes nocturnes qui se répandent comme une traînée de poudre à la faveur de la nuit, principalement sur une partie du boulevard qui, contrairement à l'attraction du jour, devient un dévidoir de peines et par là même, un lieu de soulagement des vessies.» Cliché extérieur d'une ville très animée durant le jour et, où à partir de l'aurore, le retour des pêcheurs donne un cachet particulier aux quais avec cette odeur chatouillante de brise marine avec, à la clé, la senteur du poisson et la vente à la criée des quelques casiers. Les quais du port de Stora, l'antique cité numide, donnent un avant-goût de ce que sera la journée. Dans une folle ambiance que seuls les hommes de la mer savent imprégner, les patrons de chalutiers et autres petits métiers, les mandataires, les restaurateurs, les vendeurs dans la diversité de leur situation, se disputent dans les règles mais avec âpreté les prix des différentes sortes de poissons proposés. A l'entame de chaque jour, la routine règne en maître des lieux tandis que la ville de Skikda commence à peine à se réveiller de sa torpeur avec les timides incursions de quelques travailleurs lève-tôt qui se rendent à leur boulot le matin. C'est carrément le grand rush en ce mois de septembre, avant que la ville ne devienne une fourmilière où les gens s'en vont à la croisée de leur destin «photographier leur pain». Skikda, le jour, c'est un peu cette topographie coutumière qui fait d'elle une ville touristique où il fait bon vivre avec ce caprice de la nature qui a su marier le bleu azur de la mer avec le vert de son manteau. Malgré le manque d'hygiène qui caractérise ses rues - la chose n'est pas spécifique à Skikda mais semble faire tâche d'huile dans tous le pays où l'insalubrité fait partie du décor - Russicada conserve un raffinement dans son architecture et une certaine splendeur qui cadre mal avec l'image de la saleté immortalisée le jour. Le boulevard qui s'étend sur 1600 km en direction de la corniche de Stora, agrémente la vue des visiteurs et des passants où, le soir venu, des familles entières viennent en traînant les pieds, prendre l'air avant de regagner leur demeure. Le tableau est visualisé la veille de la rentrée scolaire. On finit mal la journée A partir de là, au fur et à mesure de la tombée du jour, changement de décor. La nuit, qui, depuis, ne semble plus porter conseil, est une aubaine pour les «gens» de l'ombre afin qu'ils sortent se vider de leur amertume en contemplation de l'abstrait, du néant avec pour compagnon des petits bruissements provenant des sacs à dos! Des jeunes, parfois juste adolescents, tenant à la main des sachets, viennent «patrouiller» sur le boulevard avant de s'accouder sur la rampe de protection, tandis que d'autres préfèrent de loin pénétrer dans le petit jardin jouxtant la Grande poste pour prendre possession d'un banc public. L'air rêveur, faisant une fixation sur nulle part ailleurs que sur les pays d'outre-mer, des jeunes extirpent de leur sac à dos posé à terre des bouteilles de bière pour en consommer par petites gorgées en laissant le regard terne, amorphe, se poser avec envie sur ces mastodontes de fer, à quai dans les ports à peine à quelque cinquante mètres de là; la boisson alcoolisée, dans ce cas précis, est utilisée comme un «détergent» quand ce n'est pas un purgatif pour se soulager de tous les maux de la société dont le vecteur incontestable reste le chômage. Vingt heures quinze sonnantes, un trio de jeunes accompagnés pour l'on ne sait quelle raison obscure, de chiens-loups, se sont rencontrés à proximité d'un palmier face aux locaux du siège de l'Onat. Débarrassés de leur charge avec dextérité, après avoir au préalable pris soin d'attacher les chiens quelque peu éloignés les uns des autres, ces derniers en toute lucidité ont commencé à trinquer dans le feu d'une discussion animée mais dans le strict cadre de l'amitié qui semble les unir pour s'inscrire désormais en faux dans la catégorie des disciples de Bacchus où l'alcool coule à flots. Le jardin de la Grande poste qui baigne dans une légère obscurité est également pris d'assaut par des jeunes pour servir de lieu de rencontre et de beuverie, une mahchacha en plein centre-ville, jonchée de bouteilles de bière vides et de canettes, vestiges omniprésents d'une nuit bien arrosée que le gardien ne manque pas de nettoyer à chaque occasion. Seuls au milieu de cette aridité de l'espoir que l'on assimile peut-être à tort mais jamais sans raison, à la diabolique, expression «Pauvre Algérien, souffre et ne dis rien», subsistent des bris de tessons et l'odeur incommodante des urines vidangées durant la nuit. L'irritation et le spleen, en dignes ambassadeurs de l'oisiveté, poussent certains jeunes à fracasser les bouteilles vides sur les murs. D'autres encore préfèrent s'en défaire en les jetant par-delà la barrière de protection des rails du chemin de fer, à proximité de la gare ferroviaire. Même son de cloche qui semble marquer Skikda dans la spirale des villes où le chômage tient le haut du pavé, la rue Medeghri qui connaît une affluence de jeunes couples d'amoureux, d'où le surnom de la rue des amoureux, reçoit à la tombée du soir, dans une autre forme, des flâneurs qui viennent se «remplir la tête», encore une fois, face à la mer. Canettes, bouteilles de bière ou de vin, mixture d'alcool et d'eau, l'emporter sur... bat son plein chez beaucoup de jeunes qui ne trouvent rien de mieux que de s'enivrer à perdre la notion du temps. Dans les méandres de la déchéance Derrière le bâtiment administratif abritant les locaux de la direction de l'agriculture, le décor qui s'offre à la vue est on ne peut plus indescriptible, du fait des innombrables bouteilles qui jonchent le sol. L'énormité des déchets remet sur le tapis l'absence d'une politique de récupération, même si l'on enregistre que, dans le passé, des jeunes se sont lancés dans la collecte des canettes vides, témoignage extrême de la manière utilisée par une grande majorité d'adolescents, qui n'ont rien de délinquants, d'exprimer leur ras-le-bol. Ces emballages vides renseigne sur l'ampleur du phénomène de la consommation de bière dans la grande majorité des cas, ce qui peut, à la longue, déboucher sur un penchant alcoolique et potentiellement, sur une agressivité nuisible à la société. Les jardins publics de la place du 24-Février ne sont pas non plus épargnés par des jeunes qui viennent déverser leur hobby ou leur chagrin, c'est selon, face à la non moins honorable institution éligible de l'APW. Les plus réservés, généralement pour donner une ambiance particulière à leurs sorties qui se résument le plus souvent à des parties de pêche, font leurs provisions avant d'aller allègrement, chargés de matériel de pêche et de quelques remontants dans la diversité des boissons alcoolisées, s'adonner jusqu'à une heure très tardive aux plaisirs de la pêche, pour donner à Skikda une image trompeuse de ville couche-tard. Si le rideau est tombé sur les retombées d'une saison estivale qui a enregistré une dizaine de millions d'estivants venus de tous les coins et recoins du pays, à Skikda, à défaut de saines occupations pour se prémunir contre les aléas de la vie, l'exil reste au bout du rêve, comme une lueur d'espoir pour assaisonner la vie. Alors, qu'importe. Tant qu'il y a la vie, il y a de l'espoir et puis ne dit-on pas qu'à la faveur de la nuit, le rêve reste permis. C'est à cela que Skikda ressemble, la nuit.