Liberté : Nous sommes dans votre loge. Vous venez tout juste de quitter la scène après une énième représentation de La Célestine. Quelles sont vos impressions, à chaud ? Biyouna : Une belle fatigue, d'abord ! Heureuse d'un public si chaleureux, surtout que, parfois, on a un public maghrébin, africain — je ne dirais plus algérien parce que mon public s'est considérablement élargi. Mais on a beaucoup souffert pour monter cette pièce, La Célestine, parce que c'est une bête à sept têtes, c'est un caméléon : il y a l'hypocrisie, l'amour, la joie. Cette Célestine avait tous les défauts et les qualités du monde… Je suis très fière de jouer dans cette pièce, moi qui me suis arrêtée au “niveau de l'ardoise”. Jouer dans un français littéraire soutenu est une grande victoire pour moi ! À propos du public, pour y revenir, ce soir il n'y avait pas d'Algériens, c'est un public à 100% français. Pourquoi ? Non, il n'en avait pas ! Je l'ai senti. Parce que quand il y en a — je parlerai plus d'un public maghrébin, il se manifeste même par des youyous qui fusent de la salle, comme hier et quand je balance des phrases ou des expressions, des exclamations en arabe, ce sont des salves de rires ! Pouvez-vous nous parler des conditions, de l'ambiance qui ont régné pendant les répétitions puis tout au long des représentations de La Célestine ? Au début, ce n'était pas facile, il fallait connaître les autres comédiens qui sont pratiquement tous des étrangers : il y a Rona Hartner qui est Roumaine, Luis Rego qui est Portugais, celle qui joue Mélibée (Myriam Bella) est Marocaine… On s'est connus peu à peu et maintenant, on est devenus une petite famille et c'est merveilleux de les connaître, toutes et tous. Nous sommes solidaires et tout se passe bien Parlez-nous un peu de votre passage chez Ruquier, dans l'émission On n'est pas couché. Nous sommes allés chez Ruquier pour la promotion du spectacle. Malheureusement, il y a eu des coupures, c'était trop long ; il y avait un écrivain, ça parlait politique et moi je ne voulais pas parler politique, j'ai essayé d'éviter. Si vous permettez, nous allons revenir quelques années en arrière : vous m'aviez accordé un entretien qui est paru dans Liberté sous le titre de La femme-orchestre dans lequel vous lanciez un défi : démontrer à vos détracteurs que vous étiez capable de faire du théâtre et du vrai. Vous sentez-vous arrivée ? Oui, je m'en souviens très bien. Il y avait en Algérie des personnes du théâtre qui n'avaient pas confiance en moi. Il n'y eut que Fatima Aït El-Hadj qui a voulu me faire confiance pour une pièce de Tchékhov et ce fut une totale réussite, avec 200 personnes qui attendaient dehors alors que la salle était pleine… Mais même là, certaines personnes sont allées la voir pour lui dire : “Oh, lala, tu vas faire confiance à cette médiocre, à cette “skètchiya” !” J'ai joué le Coryphée dans Electre de Sophocle aux côtés de Jane Birkin et maintenant c'est La Célestine. Je peux dire que je suis fière sans pour autant me considérer au sommet. Faites-vous des envieux, comme vous l'avez annoncé à Ruquier ? Non, je ne cherche pas à faire des envieux. Je m'en fous de ceux qui radotent et, comme on dit, “les chiens aboient, la caravane passe”. Je laisse parler, en bien ou en mal ; moi, l'essentiel est que j'ai mon public qui est adorable, qui me suit partout… Maintenant, j'avance. La marche arrière s'est cassée en Algérie, maintenant, j'avance, j'avance et j'avance et tant mieux pour le drapeau algérien… Je fais également beaucoup de concerts, j'ai fait des films pour France2… Je vais bientôt tourner un film avec Eric et Ramzy. Justement, vous avez joué dans plusieurs films à succès, vous jouez dans des pièces théâtrales : quelle est la différence, pour vous, entre cinéma et théâtre ? Tout le monde vous dira que c'est plus facile de faire du cinéma : on a plus de temps, on peut faire et refaire des séquences ce qui n'est pas le cas pour le théâtre : c'est plus périlleux, vous êtes à quelques mètres de votre public et personne n'est là pour vous soufflez votre texte. Au théâtre, chaque représentation est une aventure. Le film Viva l'Aldjérie, c'est La Celestine du vingtième siècle ; c'est d'ailleurs ma performance dans le film qui m'a valu d'être choisie pour interpréter La Célestine. Côté musique, comment cela se passe-t-il ? Côté musique, hamdou li llah, je fais des concerts un peu partout, j'ai fait l'Orient, la Jordanie, j'ai fait le Festival Mawazinn à Rabat. Partout je suis bien accueillie ; pourtant, avec la voix que j'ai… À Beyrouth, les musiciens me disent : “Alors, madame Biyouna, soprano ?” Et je réponds : “Non, gravito !” (grand éclats de rires). Avez-vous des projets pour l'Algérie ? Je commence par saluer toutes les Algériennes et les Algériens, ils me manquent beaucoup. J'espère faire quelque chose pour Ramadhan prochain, mais à une condition qu'on me donne un plan de travail, qu'on me donne un scénario. Ici, les choses se font une année à l'avance, pour le film avec Eric et Ramzy, j'ai eu le scénario il y a plus de 6 mois. En Algérie, on fait toujours à la dernière minute, 2 mois avant le Ramadhan, on t'appelle pour un feuilleton ou un film. Moi, j'ai besoin de temps, il faut que je m'organise en fonction de mon planning qui est chargé. On m'a touchée dans ma dignité par une phrase : “Personne n'est indispensable !” Moi, je dis que je suis indispensable, c'est le public qui choisit normalement et je n'ai plus rien à démontrer. Je suis une enfant de la télé algérienne, qui a fait de moi ce que je suis. Mais, j'ai remarqué qu'à la télévision algérienne, ce sont toujours les mêmes qui produisent, qui écrivent des scénarios, il est temps de donner leur chance à d'autres producteurs, à de nouveaux scénaristes et je sais qu'il y en a. A. Y.