Les affaires découvertes, 3 milliards de dollars transférés à l'extérieur pour un seul dossier, ne sont qu'une goutte dans un flux illégal et continu de capitaux vers l'étranger. Les tergiversations des pouvoirs publics face à ce fléau ont encouragé ce mouvement de transferts illicites de devises. La fuite des capitaux est difficile à appréhender. Mais quelques affaires aujourd'hui en justice mesurent de façon concrète le niveau important de ces transferts illégaux de devises. Et montrent les techniques utilisées pour organiser la fuite de considérables sommes d'argent vers l'étranger. Cela va des importations fictives aux surfacturations. Dossier numéro 1 : la fuite des capitaux à travers de fausses déclarations en valeur à l'importation. L'origine des faits remonte aux années 1990. À cette époque, les taxes à l'importation pour les produits destinés à la revente en l'état étaient hyperélevées : 45% de droit de douane, plus de 150% de valeur administrée, 21% de TVA. Soit au total plus de 200% de taxes. Face à ces lourdes charges, des importateurs ont trouvé la parade. Ils ont effectué de fausses déclarations en valeur à l'importation. Grâce à cette technique, ils ne versaient pas une bonne partie des taxes dues. Durant cette période qui s'étale jusqu'en 2005, ces importateurs ont accumulé de fortes sommes d'argent. Des fortunes illicites se sont donc constituées à la faveur de cette évasion fiscale d'une grande ampleur. L'idée a germé alors d'organiser la fuite de cet argent vers l'étranger. L'affaire de Bir El-Ater représente l'exemple parmi les plus frappants du phénomène. Un réseau spécialisé s'est constitué dans le faux et usage de faux de documents douaniers : fausses déclarations en douane, fausses factures et fausses domiciliations bancaires. Une imprimerie a été même installée pour fabriquer de faux documents de dédouanement, appelés D3. De faux cachets de transitaires ont été également utilisés. Résultat de tout cet arsenal, une grosse opération de transfert illégal de devises a été effectuée sans qu'aucune marchandise n'ait été réceptionnée. En un mot, la fuite de capitaux s'est opérée par le truchement d'importations fictives. Aucun conteneur n'a été importé. Dans les faux documents, on a déclaré des milliers de conteneurs et des centaines de milliers de tonnes de marchandises importées de manière fictive. “Un rapport confidentiel envoyé aux hautes autorités daté d'août 2001 conclut que le préjudice au Trésor public est de près de 20 000 milliards de centimes”, confie un ancien responsable, proche du dossier Les devises ont été transférées via une banque locale vers Dubaï et la Turquie, ajoute la même source. Les “cerveaux”, une vingtaine de barons de l'importations, sont en fuite. Ce dossier n'est pas clos définitivement au niveau de la justice algérienne, rapporte la même source. Les surfacturations ont également permis le transfert illégal de capitaux vers l'étranger. L'affaire du dessalement de l'eau de mer de Khalifa illustre la facilité avec laquelle de grands escrocs alimentaient illégalement leurs comptes à l'étranger. En 2002, le groupe Khalifa achetait une vieille unité de dessalement auprès d'un fournisseur saoudien au prix de 3 millions de dollars. Cette installation obsolète a été facturée à 67,5 millions de dollars. Cet argent a été transféré dans une banque à Monaco. Cette affaire est toujours en justice. Plus subtile pour contourner la réglementation de change, des sociétés étrangères ont surfacturé pendant les années 2000 leurs services, confie une source bancaire. Moyen illégal de récupérer les royalties, ou la contrepartie d'une franchise pour de grandes sociétés internationales, en échange de l'usage de la marque en Algérie. Les exportations de métaux ferreux et non ferreux ont également permis d'organiser une fuite importante de capitaux vers l'étranger. En février 2003, un représentant de la douane française écrivait au autorités algériennes “la fausse déclaration de valeur porte encore une fois sur des montants considérables”. Les écarts entre les quantités déclarées et celles exportées sont ainsi très importantes, conclut le document. En ce sens, “en décembre 2006, le représentant d'une société française écrit aux autorités algériennes. Il révèle que dans 17 conteneurs de déchets de métaux ferreux déclarés, 73 tonnes de cuivre étaient dissimulées. Le cuivre n'avait pas été déclaré à la douane algérienne”. “Ces problèmes détruisent l'économie algérienne et ternissent l'image de marque de l'Algérie à l'étranger. C'est avec une grande confiance que nous portons cette affaire aux hautes autorités algériennes pour l'éclaircir”, ajoute le représentant de la société française. Une partie des quantités exportées sont le résultat d'un pillage de lignes téléphoniques, électriques, d'installations de voies ferrées. Ces affaires découvertes ne sont qu'une goutte dans ce flux illégal de capitaux vers l'étranger. Les tergiversations des pouvoirs publics ont encouragé ce mouvement de transfert illicite de devises. L'hémorragie s'effectue au détriment de la satisfaction de besoins en logement et en emplois pour des centaines de milliers d'Algériens. Qui aura le courage aujourd'hui de récupérer cet argent sale ? K. R.