Après quatre semaines de grève en Guadeloupe, le mouvement ne s'essouffle pas et fait tache d'huile dans les possessions françaises outre-mer. Des barrages ont encore été érigés, lundi matin, en Guadeloupe en grève générale depuis le 20 janvier, tandis que la Martinique, qui a rejoint le mouvement le 5 février, menace de faire de même. Ce durcissement inquiète au plus haut point le président Sarkozy dont la cote de popularité a lourdement baissé en France métropolitaine. Le patronat de la France d'outre-mer est invité à mettre la main à la poche pour éteindre un feu qui prend des allures anti-raciales. “Ça suffit !”, a frappé sur la table le ministre d'outre-mer. C'est que la grève générale, qui paralyse depuis des semaines les Antilles françaises, a mis en évidence les clivages sociaux et raciaux, issus du colonialisme, dans ces îles paradisiaques, ainsi que leur état d'arriération économique. Hormis quelques poches de tourisme, l'économie de cette France à des milliers de kilomètres de Paris est encore frappée du sceau du colonialisme. C'est encore l'exploitation à la mode du siècle dernier. Matières premières et produits exotiques embarqués à l'état brut vers la métropole, sans valeur ajoutée pour ces Français insulaires et de couleur. À la première revendication d'ordre social, les grévistes regroupés au sein de collectifs contre l'exploitation, protestant contre le coût de la vie et voulant 200 euros d'augmentation pour les bas salaires, s'adjoint une autre que Sarkozy veut éviter à tout prix pour sa profondeur et l'avenir même des territoires français hors Europe. Le débat dans les Antilles et en Martinique s'est, en effet, rapidement doublé d'une dimension raciale, car les leviers de l'économie sont, dans les deux îles, largement aux mains d'une petite minorité de blancs, descendants des colons esclavagistes des XVIIe et XVIIIe siècles, les “Békés”. “Guadeloupe, c'est à nous ! Guadeloupe, c'est pas à eux !”, c'est le slogan qui fait fureur en Guadeloupe dont un équivalent existe en Martinique et ailleurs, en Guyane, à Cayenne, partout où les familles blanches ne se sont pas métissées au fil des siècles, et qui plus est, au nom de la préservation de leur race, comme l'a dit dans une déclaration explosive l'un des plus riches Martiniquais dans un reportage diffusé sur une télévision française. “Une caste détient le pouvoir économique et en abuse”, s'est emportée l'une des rares députées de couleur dans l'hémicycle de la “patrie des droits de l'homme” et de “l'égalité raciale”, Christiane Taubira, originaire d'un autre département d'outre-mer, la Guyane. Comme pour enfoncer le clou, la coqueluche du gouvernement Fillon, la Sénégalo-Française Rama Yade, a renchéri de son côté : “C'est vrai que là-bas, il y a un lourd malaise dû à la cherté de la vie, au niveau du pouvoir d'achat et, au-delà, à un problème de répartition des richesses”. La secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, seule ministre noire du gouvernement, vient à peine de se réconcilier avec Sarkozy à qui elle avait refusé de se porter tête de liste dans les futures élections pour la députation européenne. Rama Yade a été sauvée par sa cote de popularité, deux fois plus élevée que celle de son président et autant que celle de son ministre des Affaires étrangères, Kouchner, le French Doctor, qui a voulu la renvoyer. Rien que ça ! Et la pétillante ministre n'invente pas le fil à couper le beurre en rappelant que “le contexte social exacerbe les tensions raciales”. À quelque 7 000 kilomètres de Paris, ces îles “paradisiaques”, où les Français de souche aiment aller passer leurs vacances à des prix compétitifs, accumulent les problèmes sociaux : le taux de chômage est d'environ 22% à la fois pour la Guadeloupe, une île de 450 000 habitants, et la Martinique, environ 400 000 habitants. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant n'y représente que 60% environ de la moyenne française ! La France possède des départements d'outre-mer, dont font partie ces deux îles, et d'autres territoires dans le Pacifique et l'océan Indien. Au total 2,3 millions de personnes y vivent avec aujourd'hui des menaces similaires à celles de la Guadeloupe et de la Martinique : plus large autonomie, voire l'indépendance, avec les nouvelles générations. D. Bouatta