Récemment encore, les douaniers du port d'Alger ont mis au jour un important réseau spécialisé dans la contrefaçon. Cette fois, c'est la société nationale BCR qui a été ciblée par ces trafiquants dont la manœuvre consistait à importer, à partir de chine, des produits d'imitation frappés de la marque BCR, avant d'être frauduleusement introduits sur le marché domestique et dilués dans les circuits commerciaux. Un autre cas révélateur du “génie” qu'impose cette nouvelle race de délinquants attentant à l'économie nationale par des armes aussi redoutables que celles de l'imitation. La nouvelle mission qui attend inéluctablement l'institution douanière, notamment celle du port d'Alger, espace aux multiples enjeux et théâtre de guerre silencieuse contre les barons de la contrebande, risque de reposer la problématique d'une couverture politique des douaniers jusque-là statutairement vulnérables. Le plus important port d'algérie, qui concentre plus de 70% des flux commerciaux avec l'étranger, serait-il en train de changer de cap après avoir été longtemps reconnu comme une passoire offerte à tous les contrebandiers ? En effet, depuis pratiquement une année, les saisies et autres découvertes d'importations illicites et parfois dangereuses sont annoncées par les responsables douaniers du port d'Alger, avec à leur tête le chef d'inspection divisionnaire, M. Reg Benamar (Cid), qui n'hésite pas à se déclarer “engagé à rendre ce port totalement fermé contre la fraude”. L'économie algérienne fait face à de nouveaux fléaux et banditismes économiques, telles les importations alibi orchestrées pour des opérations de fuite de capitaux ou encore les exportations sans rapatriements de devises, manœuvres de grands barons qui ne laissent souvent aucune possibilité de retraçabilité. Fini le simple trafic sur les cigarettes ou les fausses déclarations sur les valeurs et le poids. Les meilleurs exemples, nous dit M. Reg, sont donnés par l'affaire du whisky frelaté qui a donné lieu à un transfert illégal de cinq millions d'euros ou encore l'exportation avortée de déchets ferreux par un opérateur activant sous un prête-nom et redevable, mentionne notre interlocuteur, d'un total de près de un million d'euros non rapatriés au titre de plusieurs opérations. Cette dernière affaire dite “du bateau Luka” avait nécessité le déchargement de toute la cargaison qui devait atterrir à Marseille. Le Cid du port d'Alger avait risqué gros dans cette décision de blocage de l'opération “et sans le soutien permanent du directeur général, l'exportateur aurait réussi son coup”, signale reg benamar, qui reconnaît l'existence de pressions externes et internes sur certaines opérations à enjeux. “Oui, les pressions existent, mais dans notre démarche qui dérange des groupes obscurs ayant longtemps régné sur le port, nous avons le soutien du directeur général déterminé à mener un assainissement irréversible”, lâche celui qui est arrivé à ce poste au terme d'une réorganisation dans les rangs et les règles profondément enclenchées — non sans résistance — par le premier responsable des douanes depuis pratiquement plus d'une année. Une réforme inscrite dans le cadre de la lutte contre la fraude et de la mise en œuvre des facilitations douanières au bénéfice des opérateurs, tels que dictés par les négociations portant adhésion à l'omc et l'accord d'association à l'union européenne. Les recettes records pour l'année 2002 engrangées par les douanes du port d'Alger s'élevant à 81 milliard de dinars, sont brandies comme témoin de ce sursaut qualitatif recherché en ce sens, où l'ascension relevée dans les entrées signifie, selon les spécialistes, un recul dans la fraude. “Les plus grands courants de fraude sévissants ont été détruits”, indique reg benamar, en révélant que les barons du Marlboro, auxquels on a barré la route, se redéploient sur d'autres créneaux de la prohibition ou de produits surtaxés qu'ils tentent d'introduire. Ces gens là, poursuit-il, deviennent à l'occasion du mawlid ennabaoui des professionnels du pétard qu'ils commandent trois mois à l'avance en quantités importantes. On apprendra ainsi, selon les informations qui nous sont parvenues que “des quantités importantes de pétards destinés au marché algérien, ont été abandonnées à Dubaï après avoir pourtant été à moitié payées et commandées en chine”. M. Benamar indique que les contrebandiers ont perdu dans l'affaire 20 milliards de centimes, préférant abandonner la marchandise. Surpris par la vigilance, dit-il, qui a été affichée au port sur ce trafic. Dans le bilan “d'attaque”, il relève plus de 450 milliards de centimes au titre de fausses déclarations ou excédents non déclarés. Sur le chapitre de la protection de l'économie nationale, au lendemain du démantèlement tarifaire ramené à trois niveaux, simplifiant la lecture (5 ,15 et 30% de droits de douanes), “des opérateurs nationaux, souligne le chef d'inspection douanière, nous ont saisis, à l'image de M.Yahiaoui, gérant du groupe yoplait, qui dénonce l'importation irrégulière de certains laits en poudre dont la date de péremption est soupçonnée douteuse”. Des interpellations prises au sérieux, affirme le douanier qui déclare que de tels produits nécessitent le visa des services de la qualité qui opèrent au port et conditionnent le dédouanement par un certificat de conformité dûment établi. Par ailleurs, près de 85 pseudo-engins frauduleusement introduits, sont bloqués au port d'Alger. “Ce sont de vieux camions sur lesquels ils ont monté de petites grues et autres échelles afin de les faire passer comme engins”, explique-t-il, une fois dédouanés, “il n'y a plus qu'à démonter les accessoires rajoutés pour mettre en circulation le camion d'occasion, qui, en réalité, reste interdit d'importation”. C'est le directeur général qui a ordonné une enquête sur ces dossiers. C'est dire qu'au port les fronts sont multiples, tant la malversation emprunte des couloirs divers et touche à toutes sortes de marchandises. Il y a même eu des jumelles militaires et des sabres interceptés dans des containers en quantités impressionnantes. La philosophie développée par les douanes dernièrement, soutient le Cid du port d'Alger, consiste à responsabiliser chaque agent et chaque intervenant dans son rayon. Il reste, cependant, à prendre connaissance du contenu de ces 2 000 containers encombrant le port, dont on veut réhabiliter la vocation d'espace de transit et non d'entreposage. 2 000 containers en souffrance depuis des années que la concertation avec l'epal doit acheminer sur le port sec de rouiba. Un lourd héritage qui risque de révéler bien des surprises. Au-delà de la satisfaction affichée par une bonne partie des opérateurs sur la nette amélioration de la situation douanière au port d'Alger, comme le soulignent les transitaires rencontrés, et à l'heure des débats sur les grands réaménagements dans les dispositifs liés au contrôle des changes, la protection de l'économie nationale passe inéluctablement par le préalable de protection politique du douanier déjà malmené de l'intérieur par des règlements de comptes et luttes de clans commandités parfois de l'extérieur, ou même des têtes et des mutations d'agents sont mises à prix. Un organigramme parallèle est, quelquefois, mis sur pied par des barons de l'import suivant les besoins de chaque opération, où il faut congédier un tel ou corrompre un autre. A. W.