L'explosion des chaînes satellitaires spécialisées dans les fetwas a fait que l'Algérien ne sait plus à quel mufti se vouer. Plus d'un millier de chaînes de télévision émettent à longueur de journées des fetwas, souvent expéditives, parfois complètement déphasées, voire même extravagantes. Ce sujet a été, deux jours durant, au centre des débats de la troisième session des conseils scientifiques relevant du ministère des Affaires religieuses. Les séminaristes se sont penchés sur deux études consacrées à ce sujet. Le but étant de parvenir à réguler l'émission des fetwas en Algérie, notamment en prévision du lancement imminent de la chaîne télévisée du Coran, mais aussi pour coordonner les efforts des hommes de religion, en vue de parler d'une seule voix. En attendant la désignation, par le chef de l'Etat, d'un mufti de la République et l'institution d'un organe national chargé d'émettre les fetwas, c'est aux conseils scientifiques institués depuis deux ans à travers tout le territoire national qu'échoit cette mission. Le ministre des Affaires religieuses l'a rappelé, hier, à Dar El Imam (Mohammadia), en prenant part à une partie des travaux de cette session. Bouabdellah Ghlamallah estimera que la mosquée constitue le porte-parole de la religion en Algérie et que cette dernière, pour jouer pleinement son rôle, doit s'armer de la science. Tout en insistant sur la nécessité, pour les imams, de parler d'une même voix, le ministre a rappelé que toutes les Constitutions de l'Algérie ont affirmé que l'Islam était la religion de l'Etat et que, par conséquent, “la mosquée doit faire partie de l'Etat”, critiquant au passage ceux qui appellent à éloigner la mosquée de l'Etat, en vue d'affaiblir ce dernier. Ghlamallah rappellera la décennie noire qui a vu 96 imams assassinés par les groupes terroristes, et de nombreux autres chassés des “minbars”, humiliés. “La mosquée a dévié lorsque l'Etat était faible”, dira-t-il. Le ministre fera remarquer que la profusion des fetwas à travers les médias, notamment les chaînes satellitaires et Internet, mérite que l'on s'y attarde, d'autant plus que tout ce qui se dit n'est pas forcément vrai. Il rappellera que les conseils scientifiques participent dans l'émission des fetwas, à travers des émissions télévisées et leurs interventions dans les radios locales. Mais est-ce suffisant ? La question reste posée, sachant l'engouement des Algériens pour ces chaînes satellitaires. Le lancement prochain d'une chaîne du Coran pourra-t-il, à lui seul, changer la donne ? Attendons pour voir. Les imams, de leur côté, se plaignent des attaques dont ils font l'objet. Selon le directeur de Dar El Imam, durant la décennie précédente, deux courants se sont attaqués à la mosquée : d'une part, ceux qui voulaient l'exclure de la vie de la société et, d'autre part, ceux qui voulaient l'impliquer dans la lutte contre l'Etat. Pour lui, il est impératif d'investir dans les médias, car si on n'occupe pas ces espaces, d'autres le feront. Selon les études présentées aux séminaristes, les fetwas émises, sans consultation des instances habilitées à le faire, créent d'énormes problèmes. Tout en reconnaissant que les chaînes satellitaires sont devenues une réalité incontournable qu'il faudrait prendre en compte, les études estiment que ce phénomène constitue un véritable “champ miné”. Parmi les points positifs retenus, il y a la possibilité offerte aux gens de consulter les avis religieux en direct, mais aussi une aubaine pour faire connaître les muftis et les savants à travers le monde entier. Mais de nombreux griefs sont retenus contre ces chaînes spécialisées, à commencer par la propagation d'idées extravagantes, en raison notamment de la multiplication des muftis et de leur diversité. Parfois, par désir de se faire connaître, parfois en raison des folies que procure la starmania et, souvent, en raison du cahier des charges imposé par les chaînes satellitaire elles-mêmes. Certaines chaînes sont à la recherche d'avis contraires à ceux partagés par la majorité des muftis, à l'image de la fameuse fetwa autorisant les mariages de jouissance, ou celle ordonnant à la femme d'allaiter son collègue de travail. Ces fetwas, selon les études, affaiblissent les rites religieux ancrés dans le monde musulman depuis des lustres et remettent en cause les fetwas locales. Par ailleurs, la rapidité de l'émission de fetwas pose problème. Le mufti, interrogé en direct à la télévision, n'a que quelques secondes pour répondre à des sujets sensibles qui demandent parfois de profondes réflexions, notent les études, qui font remarquer que la situation diffère d'un pays à un autre, d'un rite à un autre, mais que cette globalisation qui est en train d'être imposée aux musulmans, via les chaînes satellitaires, mérite que l'on s'y attarde sérieusement. A. B.