La Bourse d'Alger est en panne. Il n'y a que trois titres cotés. Ces titres ne sont pas liquides. Investisseurs, responsables, hommes de la rue, journalistes, tout le monde se plaint parce que la Bourse ne fonctionne pas. D'aucuns rejettent la faute sur l'Etat et lui demandent de faire quelque chose. L'Etat désemparé parle d'inscrire d'ici à deux ans une trentaine de compagnies à la Bourse. C'est tout de même paradoxal que de rejeter la responsabilité sur l'Etat. D'un côté, on veut que les règles qui régissent l'économie de marché soient mises en place et fonctionnent, et de l'autre, on veut que la Bourse fonctionne à coups d'injonction de l'Etat. Mais il faut comprendre que la Bourse n'est qu'une faible partie d'un ensemble beaucoup plus large que sont les marchés financiers. Celui-ci regroupe les titres de l'Etat, les titres des sociétés, les titres hypothécaires, les titres bancaires, etc. Nous verrons plus loin la faible part de la Bourse dans cet ensemble. Dans les marchés financiers en général, I'Etat a déjà fait ce qu'il fallait faire. Dans une économie de marché, I'Etat intervient le moins possible dans le fonctionnement des marchés. Son rôle en est celui de l'encadrement et de la régulation. L'Etat a mis en place l'essentiel de l'arsenal juridique nécessaire au fonctionnement de la Bourse. Il vient de voter une loi qui donne à la Cosob les pouvoirs juridiques, I'autonomie financière et l'autorité morale dignes d'une véritable commission des valeurs mobilières. Par la même occasion, un dépositaire central a été créé. Ce dernier permet une dématérialisation des titres. Ce qui facilite grandement les transactions et met fin aux lourdeurs administratives et aux manipulations de papiers. Toutes les manipulations se feront désormais électroniquement et les compensations monétaires s'effectueront dans les 72 heures au maximum. La direction générale du Trésor, de son côté, a, au cours des dernières années, accompli un travail remarquable et fondamental. Les émissions obligataires du Trésor fonctionnent maintenant selon les meilleures pratiques internationales. Le Trésor a créé les bases essentielles au fonctionnement de l'ensemble des marchés financiers. Le Trésor ne se limite plus à émettre des titres de 13, 26 ou 52 semaines, mais émet en plus des titres de 2, 5 et 10 ans. Grâce aux émissions d'obligations assimilables ou obligations fongibles qu'il a mises en place, le Trésor a bâti des points repères qui constituent ce qu'on appelle une courbe de taux (yield curve). (Suite en page 7) Suite de la page Une Ceci est un développement majeur pour la dynamisation des marchés financiers. Cette courbe de taux sert maintenant de benchmark. C'est maintenant la référence pour tous les autres émetteurs de dette. Les obligations du Trésor représentent théoriquement un risque zéro, soit le risque souverain. Elle permet, en ajoutant une marge de risque, de fixer le taux auquel tout autre émetteur éligible peut se faire financer sur le marché. Pour permettre aux investisseurs de mieux gérer leurs portefeuilles, le Trésor publie périodiquement un recueil de sa dette et un calendrier de ses émissions. Ce travail fondamental a été initié par le Professeur Abdellatif Benachenhou lors de son premier passage au ministère des Finances et poursuivi par M. Abdelouahab Keramane lorsqu'il était ministre-délégué au Trésor. L'Etat a donc mis les jalons essentiels pour le bon fonctionnement de l'ensemble des marchés financiers. Maintenant, pourquoi la Bourse ne fonctionne-t-elle pas ? Il faut d'abord savoir que la Bourse est simplement le lieu de rencontre entre l'offre d'épargne et la demande d'investissement. Les entreprises peuvent se faire financer soit par voie de dette soit par voie de capital (equity) et la Bourse est le lieu privilégié pour ce dernier type de financement. Les investisseurs institutionnels et le public en général peuvent ainsi acquérir les titres des entreprises cotées. Les raisons pour lesquelles la Bourse ne fonctionne pas sont très simples. Ces raisons sont attribuables à la structure même de l'économie algérienne. La plupart des entreprises publiques sont des canards boiteux, en quasi-faillite. Celles qui sont performantes ne répondent pas aux normes comptables et d'audit internationales (IAAS). Par ailleurs, il n'existe pas encore en Algérie d'entreprises privées d'envergure. Il n'y a pas non plus d'inscription d'entreprises à la Bourse par voie de privatisation parce que, même lorsqu'elles sont mises à niveau, elles ne font pas l'objet d'un audit fiable et périodique par des cabinets internationalement reconnus. Elles n'ont pas d'historique de performance. Il n'existe pas de benchmark de performance au niveau de chaque industrie. Le management de ces entreprises n'a pas encore établi un historique (track record) de performance. La Bourse ne fonctionne pas aussi parce qu'il n'y a pas encore de culture boursière en Algérie. Les gens ne boursicotent pas comme en Occident où presque chaque ménage a une partie de ses économies investie dans la Bourse. Egalement, nous ne disposons pas encore de spécialistes en analyse financière capables de conseiller les investisseurs en Bourse. Nous n'avons pas de courtiers professionnels et actifs. Il n'existe pas de système de notation qui permet de distinguer les entreprises ayant la cote “investment grade” des “junk”. Notre secteur bancaire n'est pas du tout impliqué dans les placements à revenu variable. Les métiers titres sont quasi-inexistants. Il en est de même des activités de conservateur de titres et de collecte d'ordre. Nous n'avons pas un gestionnaire d'actifs disposant d'une masse critique d'épargne qui peut jouer le rôle de teneur de marché comme la Caisse de dépôt et consignation en France, la Caisse de dépôt et placement du Québec ou la Caisse de dépôt et gestion au Maroc. Il ne faut donc pas s'étonner que, dans de telles conditions, la Bourse ne fonctionne pas. Même le bâton de Moïse ne la fera pas fonctionner. L. S. (*) Dr Lachemi Siagh détient un MBA et un Ph.D en management stratégique de HEC Montréal. Le texte intégral de cette contribution, qui fait état de solution, sera publié dans la prochaine édition de Liberté-économie.