Résumé : Finalement Hacène a eu gain de cause. Notre mariage a eu lieu quelques mois plus tard. La fête était grandiose, et tous les miens assistèrent sauf mon grand- père qui, vu son âge, ne pouvait se déplacer... 9iéme partie À mon retour de notre voyage de noces, je lui rendis visite et fut effarée par son aspect physique. Mon grand-père n'avait plus que la peau sur les os. Il toussait beaucoup, et se traînait péniblement d'une pièce à une autre de notre grande et vaste demeure campagnarde. “Il fait ses adieux, me confie ma grand-mère les larmes aux yeux. Dieu lui a accordé une assez longue vie pour voir ses petits-enfants grands et même assister à la naissance de ses arrières-petits- enfants. Mais ne nous sommes pas éternels… ” Je lui présentais Hacène qu'il reconnut et qu'il serra dans ses bras. C'est fait maintenant, Hacène à la bénédiction de l'aïeul et pourra faire partie intégrante de la famille. J'en pleurais devant ce geste si simple mais si significatif. Mon grand-père me prit par la main et me garde auprès de lui. Il ne pouvait parler trop longtemps, mais nous nous comprenions. Je lui embrassais le front et je lui assurais que je reviendrais le voir aussi souvent que le permettait mon travail. Il hocha la tête, compréhensif et content. J'étais encore plus triste qu'avant mon arrivée et je compris que le temps ayant fait son œuvre, mon grand-père n'avait plus que quelques mois à vivre, et encore, si la volonté divine le lui permettait. Deux mois. C'était le sursis accordé. Mon aïeul mourut à l'aube d'un nouveau jour, comme il l'a toujours souhaité. Il avait vécu toute sa vie entre les grands murs de sa maison et dans sa plantation. Et ne nous pouvons que l'enterrer au milieu des siens dans cette même plantation qu'il a aimée et dirigée depuis son enfance. Je pleurais ce cher disparu. Toutes les larmes de mon corps n'auraient pas suffi à lui rendre l'hommage qu'il méritait. Le village entier assista à ses funérailles. Les uns hochaient la tête avec respect en parlant de ses multiples exploits, les autres le pleurèrent en silence et ne purent exprimer que leur désarroi d'avoir perdu en lui un père et un protecteur. Ce fut une épreuve très douloureuse pour tous. De retour chez-moi, je devins taciturne. Hacène comprenant ma tristesse respecta mon silence et m'aida de son mieux à surmonter ma peine. Je repris mon travail dans un état d'esprit des plus critiques. Seule ma volonté de vaincre m'aidera à dépasser ce coup cruel de l'existence. Je me réfugiais dans mon travail. Je continuais à discuter avec mes patients, et pour me maintenir à flot, j'essayais de comparer ma peine aux leurs, et cela me permettait d'évaluer les choses à leur juste valeur. La mort est une chose naturelle. Mais les problèmes quotidiens sont d'une toute autre nature. Quelques-uns de mes patients, malades chroniques, m'infligèrent une bonne leçon de moralité. Malades, et condamnés à l'être toute leur vie, ils acceptaient leur sort sans rechigner, malgré leurs souffrances continuelles, alors que moi, je refusais d'admettre la mort de mon aïeul et ma tristesse me rendait insensible aux autres. Encore une fois, je compris que seule la volonté recherchée en soi-même redonnait le courage. Je réapprenais à vivre. Partagée entre mon travail et mon foyer, je remontais péniblement la pente. Heureusement que j'avais mes parents à mes côtés et un mari aimant. Je découvrais en Hacène beaucoup d'amour, de bravoure, de courage et d'attention. Il était aux petits soins avec moi, et ses gestes me touchaient énormément. Que serais-je devenue sans son soutien ? je me le demande encore aujourd'hui. Un évènement marquera aussi cette période : j'étais enceinte. La nouvelle enchanta ma famille, et Hacène redoubla d'attention envers moi. Il m'interdit de faire le ménage ou la cuisine et même de faire toute seule mes courses. Pour cela, il engagea une femme de ménage et m'épargna toutes les tâches déconseillées aux femmes enceintes. Tu exagère, lui dis-je alors qu'il prenait mon cartable pour m'interdire de le mettre moi-même dans le coffre de mon véhicule. Je ne suis pas une poupée de chiffon, et puis je suis bien placée pour savoir ce qui est bon pour moi et ce qui ne l'est pas. Oui… Tu es comme ce cordonnier mal chaussé… Allez, assez de rechigner, montes dans la voiture et dès aujourd'hui, c'est moi qui vais prendre le volant. J'essayais de résister. En vain. Mon mari prenait tout en main alors que je n'étais qu'à quelques semaines du début de ma grossesse. Y. H.