Il y a quelques années, les mariages se déroulaient dans les quartiers et les cités populaires. C'est de moins en moins évident. «Le mariage, selon la définition d'un philosophe libertaire est une erreur et heureux celui qui ne la commet qu'une seule fois dans sa vie», dira Houari un célibataire endurci qui se définit comme un individu libre et qui veut le demeurer éternellement. Mais pour lui, ce choix est dicté par des impondérables qu'il qualifie d'insurmontables. Tout d'abord, il cite deux échecs d'union de son frère qui l'ont conduit à ne plus voir en le mariage une union sacrée pour le meilleur et pour le pire. «Les deux mariages de mon frère furent un échec. Ses deux épouses n'ont vu en ces unions que le côté confort. Le mariage n'était pour elles que pour le meilleur, le pire c'est mon frère et sa famille qui l'ont enduré», dira-t-il. Ce guide dans les méandres qu'affrontent les jeunes à l'assaut du mariage cite également pêle-mêle, la cherté de la vie, le prix des noces, le logement, le chômage, autant de contraintes qui l'ont poussé à vouloir rester célibataire, «khyar ennass», comme il aime à se définir. Le cas de Houari n'est pas unique. Aujourd'hui, ses semblables ont tendance à devenir légion. Le mariage effraie aujourd'hui bon nombre de prétendants. C'est ce qui explique la chute des unions ces dernières années, dira un commerçant en habit traditionnel qui déplore un manque à gagner considérable depuis quelque temps. Un mariage pour 800.000 dinars «La famille et les voisins ne voient en le mariage que le côté ripaille et fête. Le DJ, la musique, les gâteaux le cortège, les cadeaux, ça a un prix et les gens ne le voient pas. Celui qui subit toutes ces dépenses c'est le marié», dira Houari. Pour lui le calcul à faire est très simple. Il faut compter le prix du trousseau, la dot, la literie, la chambre à coucher, les bijoux, plus les frais de la salle des fêtes et celui des «negafates», des qui s'occupent du couple durant la fête. «Tout cela peut valoir la somme de 800.000 dinars, une somme insurmontable pour un jeune salarié», dira-t-il. Bon nombre de familles aujourd'hui tentent de simplifier les choses pour réduire les dépenses. Mais cette bonne volonté s'est retrouvée cassée par l'apparition de nouvelles moeurs comme le recours à des traiteurs pour l'organisation de la fête ou le retour en force des traditions comme l'intrusion des «negafates». Ces dernières sont issues d'une tradition de la bourgeoisie marocaine qui, pour singer la famille royale et le faste dans lequel elle vit, a recouru à des majordomes et des servantes pour tous les travaux pénibles. «Les negafates» sont alors apparues pour s'occuper des mariés durant les noces. Ce sont elles qui habillent les mariés, qui s'occupent de tout ce qui est toilette de la mariée, henné, qui la font danser juchée sur un fauteuil chichement décoré et porté par 4 jeunes hommes. Elles s'occupent de tout ce qui est faste durant la nuit de noces pour un montant pouvant aller jusqu'à 50.000 dinars. Cette somme est évidemment fournie par le marié qui doit aussi s'acquitter du prix de la salle où doit se dérouler la fête. Il y a quelques années, les mariages se déroulaient dans les quartiers et les cités populaires. La joie était partagée par tous les voisins qui n'attendaient pas une invitation pour aller déguster un couscous ou un thé à la menthe chez la famille qui organisait un mariage. Une tente (une guitoune Ndlr), dressée devant la cour d'une maison ou d'une cité était une invitation à toute la ville d'Oran. On y servait le couscous, le thé et le café. On dansait jusqu'au petit matin puis avant de se séparer, on souhaitait une bonne fête au marié qui recevait, à l'occasion, des cadeaux. «C'était cela le mariage, une fête dans la simplicité, partagée par toute la famille et tous les voisins», dira Houari. Ces tentes qui annonçaient la joie et la fête sont aujourd'hui un mauvais présage. Elle annoncent aujourd'hui la mort. On les dresse aujourd'hui que pour réunir les gens à l'occasion de funérailles. La joie a choisi aujourd'hui les murs calfeutrés des salles des fêtes. Mais les prix affichés depuis le début des années quatre-vingt-dix sont aujourd'hui hors d'atteinte. Si au départ on se limitait à un prix de 20 à 30.000 dinars, aujourd'hui les propriétaires de ces lieux n'hésitent pas à vous regarder dans le blanc des yeux pour vous asséner un prix, à prendre ou à laisser qui peut varier de 150.000 à 200.000 dinars. Bien sûr, dans ce prix est compté un menu (une entrée, un plat de résistance et un dessert) mais cela reste au-dessus des moyens d'un jeune salarié contraint de faire comme son voisin qui, lui, est peut-être aisé financièrement. Les salles des fêtes ont poussé comme des champignons à Oran. Jadis un lieu de luxe, aujourd'hui elles remplissent une fonction sociale née des mutations qu'a connues la société. Elles quadrillent la ville et chaque lieu a ses spécificités, son personnel, sa clientèle, son orchestre, ses surprises. Des traditions tenaces Malgré l'apparition de nouvelles moeurs, les traditions sont restées tenaces. Le temps n'a pas réussi à les jeter aux oubliettes. Le pèlerinage aux sanctuaires des saints patrons de la ville le jour du mariage est resté un passage obligé. On se rend pour brûler un cierge dans les mausolées de Sidi Lahouari et Sidi El Hasni avant de diriger le cortège de la mariée vers le tombeau de Sidi Senouci pour tourner sept fois autour de l'édifice. C'est une tradition qui est restée ancrée dans la société. «Jadis, la mariée et ses demoiselles d'honneur étaient montées sur des chevaux qu'on faisait tourner sept fois autour du mausolée», dira Houari. Ces obligations faites, on se dirige vers le boulevard des Falaises pour y faire une escale dansante. On arrête le cortège, non loin du mausolée de Sidi M'hamed, non loin du chantier de l'hôtel Sheraton. Tout le monde descend de voiture. Sous des airs de karkabou, on fait danser la mariée devant la famille, les invités et même les badauds, rencontrés sur les lieux alors qu'ils recherchaient un peu de fraîcheur sur le promontoire qui fait face à la mer. Le cortège se dirige par la suite vers la salle des fêtes pour l'entame des noces. Le marié est pris en charge pendant ce temps-là par ses amis. Un cortège lui fait visiter tous les recoins de la ville. «C'est une façon de montrer à toute la ville que quelqu'un est en train d'enterrer sa vie de célibataire», notera Houari. Il y a quelques années, la radio locale El Bahia FM organisait un concours qui avait suscité l'engouement des nouveaux mariés à Oran. L'épreuve somme toute très simple consistait à diriger le cortège des mariés vers le rond-point qui fait face au siège de la Radio, y faire une escale, prendre des photos-souvenir avant de se faire inscrire par les responsables du concours. Un tirage au sort devait à la fin de l'été consacrer le couple lauréat qui devait recevoir en cadeau, une chambre à coucher, des parures en or, un voyage de noces dans un pays étranger et une somme d'argent conséquente. La virée vers le siège de la Radio était devenue alors un passage obligé, une obligation. Les habitants du quartier appréhendaient les soirées du jeudi pour les embouteillages devenus une caractéristique du coin. En voulant se simplifier les choses, les jeunes Oranais sont tombés dans le piège du modernisme ruinant. On a voulu marier la tradition à la simplicité et qu'est-ce qu'on a récolté, un mariage devenu hors de portée de toute la société. Même les commerçants qui arrivaient à proposer à leur clientèle des vêtements traditionnels par facilités sont aujourd'hui grillés par la réapparition des «negafates» qui, elles, ont toute une garde-robe qu'elles louent avec leurs services. Il faudrait trouver une solution sinon l'âge du mariage reculera au point d'avoir des nouveaux mariés qui se diront oui à l'âge de la ménopause pour la femme et de la sénilité pour les hommes. Le temps presse sinon les carottes seront cuites pour ces milliers de jeunes contraints à mourir vieux, seuls et sans connaître l'âme soeur. Des chiffres en nette régression Le mariage par les chiffres: en 2004 ce sont 11.805 unions qui sont officialisées à Oran. Ce chiffre rendu public par les services de l'état civil de l'APC ne tient pas compte des mariages non déclarés ou ceux officialisés devant un notaire. En 2003, ce furent 16.205 unions qui furent déclarées devant les responsables de l'état civil des différents secteurs urbains que compte la ville. La tendance à la baisse est constatée en 2005 puisque au premier semestre, on n'a enregistré, statistiques non encore définitives, que 5122 mariages dont moins de 1000 pour la grande mairie. Le premier constat à faire de ces statistiques est qu'on se marie moins dans les grands centres urbains. La banlieue non encore touchée par la folie du luxe continue de connaître les joies de la fête comme au bon vieux temps. L'année dernière, l'association «Espoir des jeunes» avait initié une opération mariage collectif. L'initiative avait connu un certain engouement mais a fini par faire des mécontents quand plusieurs couples eurent la désagréable surprise de découvrir que les cadeaux qu'on leur avait promis ne sont jamais arrivés. Les promoteurs de l'opération avaient motivé cette défection par le non-respect par certains sponsors de leurs promesses. Aujourd'hui, les jeunes, et hommes reconnaissent que le recul du mariage est dû en grande partie à la faute de la société. «On a voulu simplifier les choses mais nous sommes tombés dans nos travers. Le mariage est devenu aujourd'hui plus cher qu'autrefois et l'entraide qui permettait aux familles de mieux supporter les charges de la fête a disparu avec la cherté de la vie», dira Houari avec une pointe d'amertume.