Le projet est renvoyé pour un examen au niveau du gouvernement. Selon une source proche de la présidence de la République citée hier par l'APS, le projet portant création de Dar El-Ifta (la Maison des fatwas) sera renvoyé “pour un examen plus approfondi au niveau du gouvernement”. “La mise en place de cette institution à caractère scientifique et religieux mérite une plus ample réflexion pour lui conférer l'autorité et l'efficacité nécessaires face aux multiples défis qu'elle doit affronter”, précise cette source. En termes plus clairs, la création de Dar El-Ifta, pourtant annoncée comme imminente, n'est pas pour demain. Pis, les indiscrétions de la présidence laissent penser que ce projet est renvoyé aux calendes grecques. À quoi joue donc Abdelaziz Bouteflika ? C'est un décret exécutif signé de sa propre main qui a présidé pourtant, l'hiver dernier, à la mise en place de cette institution. Le chef de l'Etat a-t-il changé d'avis depuis ? Son revirement serait en tout cas incompréhensible. Pour cause, aucune raison sérieuse n'est avancée pour justifier le réexamen du projet de Dar El-Ifta par l'Exécutif. Soumis au Conseil de gouvernement le 2 février dernier, ce texte initial a été adopté au lendemain d'une entrevue au Caire de Bouteflika avec le grand mufti d'Egypte, cheikh Tantaoui. Beaucoup avaient perçu dans cette étrange coïncidence une volonté du Président de rééditer l'expérience égyptienne dans ce domaine. Certains l'avaient soupçonné de vouloir utiliser la Maison des fatwas comme une source de caution morale à sa politique de réconciliation. D'ailleurs, cheikh Tantaoui avait fait montre de sa disponibilité à enseigner aux Algériens la tolérance. Quoi qu'il en soit, ce projet, tel que présenté par le gouvernement Benflis au moment de son adoption, pouvait s'avérer salutaire dès lors qu'il permettait, avait-on dit, d'unifier les fatwas au niveau national. Alors qu'il existait à l'époque coloniale, la suppression de cet organisme à l'indépendance et son remplacement par le ministère des Affaires religieuses, un département exclusivement exécutif, a favorisé la montée de l'intégrisme islamiste dans le sens où des illuminés pouvaient s'improviser muftis et répandre l'intolérance et la haine dans la société. La mise en place du Haut conseil islamique (HCI) n'arrangera pas les choses. Cantonnée à une mission strictement consultative, cette institution a longtemps fait de la figuration. À l'époque du parti unique, elle ne s'était distinguée qu'une seule fois en autorisant les greffes d'organe conformément à des fatwas d'oulémas égyptiens et koweitiens. Viendront les années de feu et de sang durant lesquelles les maîtres penseurs des GIA ont proclamé autant de fatwas infâmes que le droit de mort sur les intellectuels et le mariage de jouissance. Confrontés au drame des femmes violées et engrossées par les terroristes, les pouvoirs publics ne sauront pas quoi faire. Face à l'embarras des religieux, c'est l'autorité exécutive sous l'égide du ministère de la Santé qui prendra la décision de les faire avorter en se fiant à la loi sanitaire autorisant l'avortement thérapeutique. Mis à la tête du HCI, feu Abdelmadjid Meziane tentera de conférer à cette institution un rôle actif. En 1999, le HCI avait préconisé la révision du code de la famille. Une première ! Le mouvement féministe était enthousiaste, d'autant que l'initiative était encouragée par le président Bouteflika. Or, dans ce domaine comme dans tant d'autres, le chef de l'Etat a l'habitude de souffler le chaud et le froid, de faire une chose et son contraire, d'avancer et de reculer au gré des équilibres de force. Le report de la création de Dar El-Ifta est à ce propos édifiant. S. L.