Bush doit se mordre les doigts. Ses prévisions en Irak sont loin de se réaliser, il doit faire face à une opposition qui a tout l'air de s'enraciner au sein d'une population qui veut se relever au plus vite de l'humiliation que lui a fait subir le régime de Saddam qui l'a abaissé au point de le faire occuper par les forces US. Les va-t-en guerre du Pentagone ne savent plus à quel saint se vouer face à l'imbroglio irakien. Pour fuir les convulsions en mouvement à l'intérieur même de l'Irak, ils n'ont rien trouvé de mieux que de proposer à Bush une autre bombe atomique mais aussi et surtout de soutenir les chiites irakiens qui revendiquent un rôle dominant dans le nouvel Irak. En vertu de lois arithmétiques, ils représentent 60 % de la population, et au nom de la répression séculaire exercée contre eux pendant des décennies du baâthisme. Les villes saintes du chiisme, Karbala et Nadjaf, ont beau être en Irak, le centre de gravité politique de cette école reste l'Iran et ses ayatollahs. Les pays arabes de la région, supporters impénitents des Etats-Unis, ne voudraient pas, sur leur flanc, d'un autre régime chiite. De même, Israël, qui, lui, a toute l'oreille de Washington, n'en veut pas également, Sharon est persuadé qu'un Irak chiite sera du pain béni pour le Hezbollah qui lui donne du fil à retordre dans le Sud Liban. D'ailleurs, si Washington tient la dragée haute à Damas, accusé de posséder des armes chimiques et de servir d'asile pour des dignitaires du baâthisme irakien, c'est à la demande expresse de Tel-Aviv qui exige le retrait des syriens du Liban et la cessation de leur soutien au Hezbollah. Au nord de l'Irak, les kurdes ne veulent pas s'en laisser conter. Ils ont applaudi à l'occupation américaine qui les a débarrassés du régime de Saddam, mais ils veulent être autonomes dans un Irak fédéral. Cependant, la Turquie qui a des convoitises sur le pétrole irakien, ne veut même pas envisager cette solution qui, estime-t-elle, aurait pour effet immédiat de remettre en selle ses propres kurdes. Le PKK a beau être dissous et inscrit sur la liste des organisations terrorises, le nationalisme kurde reste une réalité incontournable que l'islamisme (turque) n'a ni tu ni dilué. C'est vrai qu'aux yeux de Bush, Ankara n'est plus stratégique, il reste que c'est un membre historique de l'Otan. De plus, il faut se garder de perdre de vue que la Turquie même gouvernée par des islamistes est liée à Israël par des accords militaires. Pour ce qui est des sunnites, leur capacité de nuisance réside dans l'islamisme qui s'exprime ouvertement et qui, au regard de l'enlisement américain, risque de rallier tous les anciens affidés du baâthisme : fonctionnaires, policiers et hommes de troupes, aujourd'hui, sans ressources, livrés à eux-mêmes. Quant à l'opposition en exil, elle a fait la preuve que non seulement elle n'est pas la bienvenue en Irak, mais aussi qu'elle n'est animée que par un seul intérêt : la prise de pouvoir. Chalabi a beau parader au milieu de ses mercenaires qu'il a proposés comme force supplétive aux GI's et marines US, il n'emballe pas les foules. La situation est si tendue que le remplacement à la tête de l'administration de l'Irak de l'ancien général Jay Garner par le diplomate Bremer n'a pas changé grand-chose. Occuper l'Irak est une chose, mais mettre sur pied un Etat qui tienne compte de toutes ces données est une gageure que les Américains ne sont pas près de réaliser. Alors, faut-il revenir à l'ONU ? Blair a essayé de convaincre Bush sur la nécessité d'organiser une conférence sur l'avenir de l'Irak, à laquelle auraient été conviés tous les Etats de la région, sans succès. Les Etats-Unis pensent que ces différends trouveront solution dans la reconstruction économique de l'Irak. Le forum économique mondial qui s'est tenu en Jordanie a été consacré essentiellement à cette question. D. B.