Au recul du marché du livre neuf correspond celui du livre d'occasion, incitant de nombreux professionnels des vieux ouvrages à renoncer à leur vocation. Mais les bouquinistes ne sont pas morts pour autant. Il y a ceux qui résistent vaillamment dans ce métier à risques. Les bouquinistes formeraient-ils une espèce en voie d'extinction ? Au rythme où ces marchands de vieux livres capitulent, leur métier ne fera pas de vieux os. À Bordj Bou-Arréridj, jadis, la ville comptait plusieurs marchands dans toute la ville, il n'en reste plus qu'un seul. Dès qu'on franchit la porte de sa boutique, on est suffoqué par une odeur de moisi. Des piles de livres vermoulus attendent preneur depuis longtemps. On ne manquera pas de rencontrer un personnage devenu légendaire : La Bibliothèque Bleue. La quarantaine allègrement franchie, assez fier de son métier, il est toujours dynamique dans ses baskets. Il avait fait du métier de bouquiniste sa raison d'être et il n'est pas question qu'il s'y dérobe tant qu'il a bon pied bon œil. Ce qui ne l'empêche pas de ruminer son amertume. “Je ne comprends pas que les Bordjiens soient devenus tellement allergiques à la lecture. En des temps pas si lointains que ça, ma boutique ne pouvait contenir le nombre de visiteurs. Les romans partaient comme des petits pains, les collections anciennes s'écoulaient rapidement, au point que je ne parvenais pas toujours à satisfaire toute la clientèle. De nos jours, rien de tel. Les Bordjiens boudent le livre et courent les plaisirs matériels”, se plaint-il amèrement. Avec une volonté de fer à ne pas baisser les bras ou succomber au chant des sirènes. “Ce n'est pas avec le livre d'occasion que je ferai fortune. D'une part, le cercle des lecteurs se rétrécit de plus en plus. D'autre part, mes bénéfices sont étriqués. Un roman qui, à l'état neuf, coûte pas moins de 200 DA, moi je le revends à 30 DA maximum. Je me dis parfois que si j'étais sage, je laisserai tomber ce métier pour vendre du matériel informatique, des DVD, des CD, des cartes de rechange pour téléphones portables ou autre chose. Il se trouve que je ne suis pas intelligent, donc je continue contre vents et marées”, assure-t-il. Pourquoi a-t-il choisi ce métier et le livre d'occasion ? À cette question, le bouquiniste hésite un moment , “je viens d'une famille pauvre. À chaque rentrée scolaire, je revendais les manuels scolaires de l'année précédente pour pouvoir en acquérir de nouveaux qui n'étaient pas neufs. Puis, je me suis mis, à chaque rentrée scolaire, après l'école, à seconder un vendeur de livres. Plus tard, je suis devenu marchand à la sauvette de vieux livres sur la place de la Liberté, à côté du cinéma Rex, en face de la salle Bachir El Ibrahimi. Un jour, j'en ai eu assez d'être pourchassé comme un voleur par les flics, alors je me suis constitué un petit pécule et j'ai acquis une échoppe sous les escaliers du souk de la ville”, raconte-t-il. S'il se cantonnait, à l'instar de ses prédécesseurs, dans le livre non scolaire, il boirait vite le bouillon bien amère. “En dehors de la rentrée scolaire, fait-il observer, les clients se raréfient. En deux jours, j'en ai vu un seul qui, du reste, n'a rien acheté. C'est grâce aux recettes induites par la vente des ouvrages scolaires que j'arrive à tenir presque toute l'année.” Notre bouquiniste ajoute que non seulement le manuel scolaire le fait vivre mais qu'en le pratiquant, il rend service aux budgets modestes. De fait, un ouvrage de seconde main acheté à 50% de son prix initial est revendu avec une ristourne de 10%, ce qui laisse au bouquiniste une marge de bénéfice de 5%. Affirmant que sa profession intéresse un nombre important de la population, de différents âges et domaines, notamment la catégorie des étudiants, notre interlocuteur a plaidé pour un statut particulier du bouquiniste dans le but de lui permettre d'exercer dans un cadre légal ce métier et souhaitant “travailler dans un espace culturel définitif et bien situé”.