De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati Il était une fois Tizi Ouzou des années quatre-vingt. Le système éducatif pondu en 1976 n'avait pas encore révélé ses effets désastreux sur les écoliers et la société. La chose politique était encore une occupation majeure de la population, y compris la frange juvénile. La culture amazighe en particulier et la culture en général étaient le cœur palpitant de la société. La lecture et la littérature, une véritable passion au même titre que le cinéma. C'était l'époque où la librairie de M. Amirouche, au cœur de la ville des Genêts, était encore très fréquentée par les jeunes et les moins jeunes très avides de bonnes lectures. C'est que M. Amirouche était libraire mais aussi bouquiniste qui proposait de vieux livres, faisant de son local un lieu très apprécié et très visité par les amateurs de lecture, encore très nombreux à l'époque. En fait, c'est un bouquiniste qui faisait dans la vente de vieux livres usagés, mais aussi dans les prêts et les échanges et c'était sans surprise que ses étagères étaient tout le temps encombrées de livres des London, de Maupassant et Chase notamment. Et les lecteurs, particulièrement les petites bourses, ne rataient jamais l'occasion de faire un tour, ou même un détour pour les nouveaux arrivages. Vient ensuite octobre 1988. Le peuple réclame la liberté et la démocratie et on lui sert la médiocrité et la gabegie. Entre temps, l'école «fondamentale» commence à porter ses fruits qui s'avéreront pourris. La grave crise économique qui touchera ensuite la population dans son ensemble tuera, entre autres, la passion de la lecture et de la culture. Les gens vivront les années quatre-vingt-dix au rythme d'une violence sanglante et d'une anarchie qui a touché tous les secteurs. Et M. Amirouche dont la boutique n'accueillait plus grand-monde a dû baisser rideau au grand dam de la lecture et des lecteurs. Il était une sorte de «dernier des Mohicans» des bouquinistes de Tizi Ouzou et les gens, encore épris de lecture, durent apprendre à chercher les livres ailleurs, là où ils n'étaient pas censés être vendus, dans les marchés et sur les trottoirs. Aujourd'hui, les jeunes seraient surpris de savoir que les livres usagés étaient proposés, à une certaine époque, dans un local commercial et non sur les trottoirs comme de vulgaires paires de chaussures ou de chaussettes. Mais même sur les trottoirs, il s'est trouvé un jeune vendeur sachant ce qu'il proposait aux passants, contrairement à tous les autres qui se contentaient de vendre des choses appelées «livres» et de prendre leur marge bénéficiaire. Les fans du livre qui ont survécu à l'agonie de la lecture l'ont aussitôt adopté et sont vite devenus de véritables «adeptes du trottoir», tant le jeune vendeur, un universitaire au chômage, maîtrisait parfaitement son sujet, y compris les noms des auteurs, leurs œuvres ainsi que le mouvement littéraire auquel ils appartiennent. Le jeune vendeur a séduit mais malheureusement pour ses nombreux et fidèles clients, cela ne durera pas longtemps puisque, de l'aveu même du concerné, la vente de livres «à la sauvette» n'était qu'une occupation en attendant la réponse à sa demande de visa. Et la réponse, il l'a eue en 2006 et sans trop tarder, il a rejoint l'Hexagone, laissant la vente des vieux livres aux vendeurs occasionnels et non connaisseurs. C'était la deuxième mort du «bouquinisme» après une première qui a suivi la fermeture de la librairie de M. Amirouche. Aujourd'hui, Tizi Ouzou n'a pas de bouquinistes et, pour trouver de vieux livres, les lecteurs doivent avoir la chance de trouver des vendeurs sur les trottoirs, et ce, quand ceux-ci le peuvent et quand ils le veulent bien.