Si l'on s'en tient à l'ambiance que les apôtres de la participation veulent imposer au pays, à partir du 10 avril, il y aura les Algériens qui auront voté et les autres. Telle la nouvelle “fracture” nationale séparant les patriotes adeptes du vote massif et les “traîtres” qui poussent à l'abstention. Il y a déjà une catégorie d'Algériens qui n'a pas le choix : ceux qui veulent gagner un des trois véhicules mis en jeu dans la tombola d'un club sportif d'élite. En contribution à l'élection présidentielle, il exige que les lauréats de sa loterie présentent des cartes d'électeurs dûment visées par le bureau de vote. Mais il y a mieux : ces entreprises qui sommeraient leurs personnels d'exhiber la même preuve de vote sous peine de licenciement. Nous sommes loin du classique soutien moral ou financier apporté à un candidat en échange tacite de ses largesses ou en prévision de ses représailles redoutées, quand il sera confirmé dans ses extensibles prérogatives. Nous sommes dans l'appréhension individuelle des complications bureaucratiques visant les non-votants quand, parfois, l'administration décide d'élargir les procédures administratives à la carte de vote pour pénaliser les abstentionnistes impénitents. Nous sommes plus en situation où le pouvoir se contente de brandir la menace de coercition éventuellement exécutée par les services de l'Etat, transformés, à l'occasion, en instruments de pression et de répression. Ce sont des organisations de nature privée qui sous-traitent la contrainte et conçoivent elles-mêmes les moyens de sa mise en œuvre. L'apport matériel ne constitue plus qu'une forme accessoire de soutien ou d'allégeance : il est banalisé par la disponibilité de l'argent facile et par le nombre croissant des fortunes qui surenchérissent. Comme dans un marathon, il ne suffit plus d'être au départ de la course, il faut avoir les ressources pour aller jusqu'au bout et, si possible, pour se distinguer. Dans les services publics, une atmosphère maccarthyste pressure les fonctionnaires jusqu'à ce qu'ils intègrent qu'il n'y a de salut que dans le soutien et dans le vote. Devant cette nouvelle situation, on peut ressentir de la nostalgie pour le fameux article 120 : il le proposait franchement ; on l'acceptait ou le refusait, et le monde du travail était ainsi dispensé de la suspicion généralisée. Aujourd'hui, dès l'entrée et jusqu'au poste de travail, les marques de ralliement qui protège du soupçon d'abstentionnisme sont ostensiblement affichées. La même culture, et à plus forte raison, s'est imposée aux organisations sociales qui émargent au budget. Dehors, la marchandisation des activités de campagne électorale a jeté sur la scène publique des acteurs mus par le seul motif pécuniaire. Globalement, le pouvoir semble compter sur ce climat d'intimidation diffuse, et localement manifeste, pour convaincre les hésitants. Ce procédé, qui repose sur les sentiments conjugués de l'avidité et de la crainte, n'est observé dans aucun régime électif. Même en Algérie, c'est la première fois qu'on use ainsi de pressions physique, psychologique, sociale et financière pour amener les gens à voter ou pour combattre l'abstention. Quand on pense qu'en 1995, les Algériens ont massivement voté pour conjurer la peur ! M. H.