«Le meilleur moyen de faire bouger les choses et de provoquer le changement est d'user du droit constitutionnel de vote.» Rabah Kebir, un des leaders en exil de l'ex-FIS, a appelé, hier, les Algériens «à aller voter massivement, afin de contrecarrer les desseins des adversaires de la Réconciliation nationale». Estimant que son expérience politique lui a permis de connaître le sens d'une participation aux élections, il dit que «le meilleur moyen de faire bouger les choses et de provoquer le changement est d'user du droit constitutionnel de vote.» Rabah Kebir dit aussi que l'abstention «permet de maintenir les choses en l'état, et donc, de préserver les privilèges des nantis au détriment de toute amélioration de la situation du peuple.» «Dans un pays où le jeu démocratique est encore fébrile, l'abstention est synonyme de statu quo. Cet état de choses profite à ceux qui sont en train de s'enrichir de manière illicite et indécente. Le boycott des élections est, en ce sens, une démission politique.» Kebir estime, a postériori, que ce sont les islamistes comme lui qui ont porté sur le dos tout le poids de la tragédie nationale, puisqu'ils sont exclus de la participation à ces élections, mais malgré cela, il juge nécessaire de faire cet appel pour un vote massif le 17 mai: «Nous sommes interdits de participer à ce scrutin, mais nous n'allons pas démissionner pour autant à un moment où la vie politique est minée par des fléaux endémiques tels que la corruption, l'immoralité, la médiocrité du rendement politique et l'exclusion». Aussi, dit Kebir, «il ne faut pas donner l'occasion à ceux qui nous poussent vers le boycott de profiter de notre démission du terrain, ni aux adversaires de la réconciliation nationale de maintenir la situation dans son état actuel». Qui sont ces gens qui les poussent vers une consigne de boycott pour la base islamiste? Kebir n'en dit rien. Il appelle par contre «à un vote massif tous les citoyens afin de provoquer un changement politique, même si ce changement exigera plus de temps encore.» Le communiqué de Rabah Kebir peut laisser perplexe les moins avertis. Après le double attentat du 14 avril 2007 qui avait ciblé Alger, et dans un communiqué signé par Abdelkrim Ould Adda, porte-parole de l'Instance exécutive du FIS dissous à l'étranger, il affirme qu'il «condamne de la façon la plus énergique les attentats du 11 avril». Selon les propres termes du communiqué, l'Iefe, et «devant les opérations qui ont ciblé l'Algérie, peuple et Etat, et qui ont fait des morts-victimes innocentes- dans les rangs de la population, nous dénonçons et condamnons avec la plus grande fermeté ces attentats criminels, qui n'ont aucune justification, ni religieuse, ni politique, ni morale». Le communiqué ajoutait: «Nous refusons pareils procédés et nous refusons que la mort continue à faucher les vies algériennes de la sorte. Il faut que la souffrance du peuple algérien cesse et nous en appelons à concrétiser la réconciliation nationale.» Le retour de Kebir, vers la fin de l'été dernier, les nouvelles idées qu'il avait émises et le large débat qu'il a suscité au sein de la classe politique et au sein de la mouvance islamiste, avaient alimenté de larges débats au sein de la mouvance islamiste. Partagés entre observation et hostilité, les partis ont tout de suite réagi au retour des chefs du parti dissous, chacun selon ce que lui dictait son idéologie ou son positionnement du moment. Mais tous avaient pu, à loisir, constater que les membres de l'instance exécutive à l'étranger sont revenus avec des idées nouvelles et novatrices à la fois, et qui tendent, à la fois, vers une autocritique objective et sans complaisance de la mouvance islamiste elle-même, et s'articulent autour de la citoyenneté, le retour à la légalité institutionnelle par une juste évaluation du contexte politique passé et présent et une équitable réconciliation nationale. Les idées émises par cette Instance, et qui ont fait jaser autant Ali Benhadj, Abassi Madani ou Abdelkader Boukhamkham, ont eu l'effet de faire avancer la réflexion politique du courant islamiste vers plus de légalisme. Ce que les autorités du pays ont noté avec emballement, et cela s'était traduit par le «tapis rouge» déployé par l'Etat à Rabah Kebir. Les rencontres qui se sont succédé durant les deux mois de la présence du trio Kébir-Ould Adda-Ghemati en Algérie, et les contacts établis au plus haut point ont été, pour les observateurs, un signe qui ne trompe pas: les autorités cherchent, elles aussi, à pousser l'islamisme vers cette voie de légalité et de négociation.