Aujourd'hui, on sera moins nombreux certainement à nous recueillir sur la dalle de Boudiaf, pas loin de la tombe encore fraîche de Nahnah. Grâce à la concorde civile et à la compromission généralisée, le Carré des Martyrs n'est plus ce qu'il était. Le temps passe et les grandes causes perdent de leur intérêt. Leurs symboles aussi. La présidence n'ayant pas prévu les traditionnelles agapes du 29 juin au soir, nul doute que le nombre de convives, qui déjà fondait au fil des ans, sera d'autant plus restreint. Même la vérité sur l'assassinat du père de la Révolution ne fait plus recette. Sa Fondation non plus, pour rester dans le registre bassement budgétaire mais hautement déterminant dans l'engagement des Algériens. De nos contemporains, j'entends. Ce sont d'autres “vérités” qui mobilisent en ces temps où la Kabylie fait enfin recette — fait commerce, pour ne pas nous répéter. Pour combien de temps ? Une décennie, comme la mémoire de Boudiaf ? Apparemment, c'est le délai de l'accumulation “primitive” des héritiers quêteurs de vérité et d'autres choses. Si l'on s'en tient à l'acharnement de Madame Boudiaf, à l'évidence pas assez résolue pour résister à l'usure du temps et des sollicitations, la vérité sur l'assassinat du président du HCE est de moins en moins pour demain. Même pas avant le prochain président Boudiaf, puisqu'il en est question. Nacer, lui aussi, a sa quête. Et comme il a trop vécu au Maroc… Le renoncement pousse, année après année, la revendication aux oubliettes. Le “qui tue qui ?” fait le reste. Avec une enquête par mort, il n'y a rien de plus efficace pour assurer l'impunité des éventuelles liquidations. Le “qui tue qui ?” , en banalisant le doute, aboutit au même effet que la concorde civile : on ne sait plus qui est qui. Boudiaf et Nahnah, même carré ! Et bientôt même combat ! Puisqu'il suffit de suggérer la responsabilité de l'armée dans l'assassinat de son parent ou de son martyr ou de son quelconque pour avoir l'air intègre, il ne faut pas s'étonner que la formule fasse tant d'émules. Au point de noyer les cas équivoques dans le flot des assassinats contestés. N'ayant pas vocation d'élucider les énigmes criminelles, il n'est pas possible de se prononcer sur les cas particuliers, sinon de faire part de ses sincères convictions. Et pour être franc, et devant la multiplication des partisans de l'“armée qui tue”, j'observe que je n'ai jamais eu à voir un Algérien, y compris parmi ceux qui harcèlent l'armée d'accusations, détaler au passage d'un convoi ou d'une patrouille militaire. Ce qui ne serait certainement pas le cas — même si, par chance, je n'ai pas eu l'occasion de le constater de visu — à la rencontre malencontreuse d'islamistes en armes. Ceux qui admettent cet état de fait admettront que je le résume ainsi : l'armée tue peut-être ; les islamistes tuent, c'est sûr. À ce stade de l'analyse, on est en droit de s'étonner de la facilité à se révolter contre ce qui est “peut-être” et de la difficulté à s'élever contre ce qui est “sûr”. Sans conteste, sans jeu de mot, c'est à l'évidence une question de facilité et de difficulté. Le “qui tue qui ?” est d'autant plus populaire qu'il semble bien moins risqué que l'antiterrorisme. Et ce n'est pas avec la duplicité et le courage calculé des adeptes des négociants en “vérité” que la question des responsabilités dans la criminalité politique en Algérie avancera. Ils sont comme les chercheurs d'or : ils vivent plutôt d'en chercher que d'en trouver. M. H.